Après un deuxième trimestre un peu étonnant en Bourse et dans l’économie, encore résiliente malgré la forte hausse des taux d’intérêt pour mater l’inflation, comment se profilent les perspectives d’investissement pour les prochains mois ? C’est le moment du tour d’horizon trimestriel avec les experts du « Portefeuille fictif » de La Presse.

Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier un portefeuille fictif d’un capital initial de 100 000 $. Dans ce troisième rendez-vous de 2023, ces experts reviennent brièvement sur le deuxième trimestre, et ils décrivent leurs perspectives pour la suite sur les marchés financiers. Aussi, ils calibrent leur répartition d’actifs individuelle pour le troisième trimestre de 2023 en fonction d’un portefeuille équilibré de référence. C’est-à-dire établi à 60 % en actions et à 40 % en obligations et encaisse, avec des écarts de répartition limités à 10 % en plus ou en moins.

Quels constats du deuxième trimestre 2023 ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

PHOTO FOURNIE PAR FIERA CAPITAL

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Les marchés boursiers ont prolongé leurs gains dans un contexte de spéculations selon lesquelles les banques centrales pourraient relâcher leur lutte contre l’inflation [hausses de taux d’intérêt] afin de favoriser un atterrissage en douceur de l’économie, plutôt qu’une récession. Aux États-Unis, l’indice S&P 500 a mené la charge grâce à la forte reprise des actions technologiques de grande capitalisation qui représentent un pourcentage disproportionné (30 %) de l’indice. Ailleurs, les indices boursiers au Canada (S&P/TSX) et en Europe (MSCI EAEO) ont affiché des résultats positifs, mais inférieurs, compte tenu de leur exposition plus élevée aux secteurs des services financiers et des ressources qui ont largement sous-performé au deuxième trimestre. En contrepartie, le marché obligataire a généré des rendements de prix négatifs au deuxième trimestre. Les signaux de résilience de l’économie et l’inflation encore élevée ont incité les négociants de titres à revenu fixes à réévaluer leurs attentes de baisse des taux d’intérêt, et à se préparer plutôt pour d’autres hausses de taux au cours des prochains mois. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

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Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

« Ce qui m’a le plus surpris au deuxième trimestre, dans l’économie, c’est la résilience des dépenses des ménages et des consommateurs en dépit de la forte hausse des taux d’intérêt depuis un peu plus d’un an afin de ralentir l’inflation encore élevée. Manifestement, les réserves d’épargne accumulées durant la pandémie et le déséquilibre sans précédent du marché du travail en faveur des avantages et des salaires des travailleurs entretiennent la confiance budgétaire des ménages et des consommateurs. Dans le marché boursier, j’ai été surpris comme plusieurs par l’impact envers l’intelligence artificielle sur la valeur attribuée aux titres de technologie. En y regardant de plus près, on constate que cet élan haussier de l’indice S&P 500 de la Bourse américaine est demeuré concentré parmi quelques titres technologiques de grande capitalisation. Bref, cet élan boursier manque beaucoup de profondeur, et il pourrait être vulnérable aux imprévus dans la conjoncture économique et les prochains résultats d’entreprises. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

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Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Le deuxième trimestre s’est avéré une série de surprises dans l’économie et les marchés financiers. J’ai été étonné par la résilience des dépenses des ménages, malgré l’inflation élevée et la hausse des taux d’intérêt. De toute évidence, il y avait encore de la demande [de biens et services] à rattraper avec l’épargne excédentaire des ménages au sortir de la pandémie. Les revenus et la confiance budgétaire des ménages augmentent en conséquence des ajustements salariaux à l’inflation et aux pénuries de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs d’activité. Dans les marchés financiers, j’ai d’abord été surpris par la réponse en Bourse lors de l’épisode de fortes tensions bancaires en début de trimestre. Ensuite, j’ai été étonné par l’engouement des investisseurs envers les technologies d’intelligence artificielle. Cet engouement a même provoqué une importante rotation de marché en faveur des secteurs technologiques et de croissance, alimentant du coup un fort élan haussier à la Bourse américaine. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

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Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Je retiens deux faits saillants du deuxième trimestre. Aux États-Unis d’abord, l’engouement des investisseurs pour les titres technologiques de grande capitalisation a poussé l’indice de marché boursier S&P 500 à une surperformance significative par rapport aux autres grands marchés boursiers du monde. Toutefois, cette poussée est demeurée très concentrée dans les gros titres technos, qui pèsent pour 30 % de l’indice S&P 500, alors que les autres principaux secteurs ont été beaucoup plus discrets. Aussi, un tel écart au sein même de la Bourse américaine peut la rendre plus vulnérable en cas de ralentissement accentué de l’économie au cours des prochains mois. Autre fait saillant du deuxième trimestre : ce sont les banques centrales aux États-Unis et au Canada qui ont dû rehausser encore les taux d’intérêt à court terme en réaction à l’inflation encore élevée et à la surprenante résilience de l’économie de consommation. Manifestement, tant les marchés financiers que les analystes économiques avaient sous-estimé le coussin financier des ménages et des consommateurs au sortir de la pandémie, en plus de la vigueur soutenue du marché du travail. En conséquence, les marchés financiers anticipent maintenant une ou deux autres hausses de taux d’ici l’automne, en attendant des signaux plus probants d’un ralentissement économique. »

Quelles perspectives pour les prochains mois ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Avec une inflation encore élevée, et l’économie d’une étonnante résistance, je m’attends à ce que les banques centrales réaffirment leur détermination à lutter contre l’inflation avec d’autres hausses de taux d’intérêt. Et ce, quelles qu’en soient les conséquences à court terme sur les marchés financiers et l’économie. Chez Fiera Capital, notre scénario de haute probabilité d’une prochaine récession demeure intact. Et je m’attends à un contexte plus difficile pour les marchés boursiers au cours de la seconde moitié de 2023. Entre-temps, alors que les marchés sous-estiment la détermination des banques centrales à lutter contre l’inflation, et que les perspectives de croissance économique se détériorent, je me méfie du sentiment de complaisance parmi les investisseurs qui pourchassent le récent rallye en Bourse de crainte de “passer à côté”. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

« Après un deuxième trimestre pour le moins étonnant dans les marchés boursiers et dans l’économie, je constate que les principales questions de conjoncture qui préoccupent les marchés d’actifs financiers sont les mêmes qui perdurent depuis quelques mois. D’abord, combien de temps faudra-t-il pour que le taux d’inflation revienne en matière de cible des banques centrales, c’est-à-dire autour de 2 % ? Et pour y parvenir, faudra-t-il une ou deux hausses additionnelles des taux d’intérêt pour ralentir la demande de biens et services et atténuer les pressions inflationnistes dans l’économie ? Malgré la forte hausse des taux d’intérêt en à peine plus d’un an, les marchés financiers cherchent encore des signaux évidents d’un ralentissement de l’économie. Autrement dit, c’est pour quand, cette récession tant annoncée ? Est-ce encore pour la fin de 2023, ou décalé à l’an prochain ? »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Malgré la résilience de l’économie au cours des derniers mois, je demeure aligné sur un scénario de ralentissement marqué et d’un possible début de récession en fin d’année. Aussi, je m’attends à ce que le sentiment précurseur de ce ralentissement économique se manifeste dans le marché boursier vers la fin de l’été ou au début de l’automne. Considérant que l’inflation de base demeure plus élevée que la cible des banques centrales, je m’attends à une ou deux autres hausses de taux d’intérêt au cours des prochains mois. Dans ce contexte, je préfère rester prudent en Bourse, d’autant que les marchés ont tendance à plafonner avec quelques mois d’avance sur le début d’une récession. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« À très court terme, je pense que les marchés boursiers pourraient encore surprendre à la hausse tant que les investisseurs ne percevront pas de signaux probants d’un ralentissement économique vers une possible récession. Et ce, même à la Bourse américaine où la forte poussée des derniers mois est demeurée très concentrée dans les gros titres de technologies. Pour la suite, je demeure en attente prudente envers la réaction des marchés boursiers au fur et à mesure que les prochaines données de conjoncture économique permettront de préciser le risque d’une prochaine récession. Pour le moment, ce sont les indicateurs avancés de l’économie qui pointent de plus en plus vers un ralentissement marqué de l’économie nord-américaine au cours des prochains mois. »

Où en est votre répartition d’actifs pour le troisième trimestre ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« Le risque croissant d’un ralentissement brutal de l’économie et d’une prochaine récession justifie une position défensive avec la répartition en portefeuille des catégories d’actifs financiers. En fait, si les marchés financiers étaient déçus par de nouvelles hausses de taux d’intérêt, ou par une détérioration accentuée de l’économie qui compromet les prochains bénéfices des entreprises, la valeur des actions en Bourse et des titres à revenu fixe dans les marchés obligataires pourrait être mise sous pression baissière. Dans ce contexte, je préfère maintenir une sous-pondération des actions (à 50 %) et des obligations (à 25 %) par rapport au portefeuille équilibré de référence. Par contre, je maintiens une surpondération importante sur le plan de l’encaisse (à 25 %), d’autant que ce type d’actif financier, naguère négligé, est devenu beaucoup plus attrayant au fil des hausses de taux d’intérêt par les banques centrales. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuille, Desjardins Gestion de patrimoine

« J’anticipe un troisième trimestre encore positif en Bourse, du moins jusqu’à ce que les prochaines statistiques économiques précisent la teneur du ralentissement et le risque d’une prochaine récession. Entre-temps, par prudence dans ma répartition d’actifs, j’accentue la surpondération en encaisse (à 15 %) parce que c’est devenu payant avec très peu de risque grâce à la forte hausse des taux d’intérêt à court terme. Aussi, en prévision d’autres hausses de taux qui pourraient affecter la valeur marchande des obligations, je les abaisse en sous-pondération (à 30 %) par rapport au portefeuille équilibré de référence. Dans ma répartition en actions, que je maintiens en sous-pondération générale à 55 %, j’abaisse les actions canadiennes en légère sous-pondération (à 16 %) en raison du risque d’un ralentissement de l’économie mondiale qui affecterait la demande en matières premières et en énergie. Je rehausse les actions américaines en légère surpondération (à 24 %) afin de continuer à “surfer” sur l’élan haussier suscité notamment par le très influent secteur technologique. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« Je ne fais pas de changement à ma répartition d’actifs au troisième trimestre, considérant qu’elle demeure bien positionnée pour un éventuel repli en début de récession. Je maintiens donc une légère surpondération en encaisse (7 %) et en obligations (36 %), ainsi qu’une légère sous-pondération générale en actions (55 %) par rapport au portefeuille équilibré de référence. Parmi les grands marchés d’actions, je maintiens une pondération neutre en actions américaines (20 %). Je considère que ça m’a plutôt bien servi ces derniers mois, et que la Bourse américaine est devenue relativement chère par rapport aux autres grands marchés du monde. De même, je maintiens une pondération neutre en actions canadiennes (20 %). Je considère que la Bourse canadienne demeure relativement peu coûteuse et bien évaluée par rapport aux autres principaux marchés, et qu’elle pourrait ainsi mieux résister à un éventuel repli de conjoncture économique au cours des prochains mois. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Alors que les indicateurs avancés de l’économie virent de plus en plus au négatif, et que les marchés financiers tardent encore à s’ajuster en conséquence, je préfère maintenir un positionnement attentiste et défensif dans ma répartition d’actifs. Elle demeure donc inchangée au troisième trimestre par rapport au précédent. Je maintiens l’encaisse en nette surpondération (15 %) par rapport au portefeuille équilibré de référence. Je justifie cette répartition par le fait que les hausses des taux d’intérêt à court terme – rendus autour de 5 % – ont réhabilité l’encaisse en tant qu’actif financier à rendement réel. Je maintiens la sous-pondération en obligations (28 %) en raison de leur risque de subir une autre dépréciation lors des prochaines hausses de taux, alors qu’on les croyait terminées. Du côté des actions, je suis très indécis sur la pertinence d’investir davantage en Bourse en contexte d’incertitude économique. Je maintiens donc les actions en sous-pondération générale à 55 %. Parmi les principaux marchés, je maintiens les actions canadiennes en légère surpondération et les actions américaines en légère sous-pondération. Même si la Bourse canadienne pourrait subir les effets d’un repli des prix des matières premières et du pétrole lorsque se précisera le ralentissement de l’économie, je considère que l’écart significatif entre les multiples de valeur (cours/bénéfice par action) de l’indice canadien S&P/TSX – à 13 fois – et de l’indice américain S&P 500 – à 19 fois – milite encore en faveur des actions canadiennes. »