Reconnu notamment pour sa défense des droits des actionnaires dans des dossiers impliquant des projets de transactions chez des entreprises d’ici comme Transat et Dorel au fil des années, l’investisseur Peter Letko tourne une page pour amorcer 2024. Il quitte son poste de premier vice-président du gestionnaire d’actifs montréalais Letko Brosseau. Il continuera d’agir en tant que conseiller auprès de cette firme qu’il a cofondée il y a près de 40 ans. La Presse s’est entretenue avec lui.

Pourquoi cette transition maintenant ?

« Je me retire de certaines tâches quotidiennes et de certains comités pour me concentrer sur les investissements, les décisions, les stratégies. Je demeure actionnaire. Les années passent. J’aurai bientôt 76 ans. C’est un âge où il faut être plus prudent. Je suis en bonne santé. Je demeure très actif, mais on ne sait pas. C’est très important de préparer la relève. Nous avons des responsabilités envers les clients, nos collègues et nos familles aussi. »

Qu’est-ce qui vous attend en 2024 ?

« Je vais continuer de faire quelque chose que j’aime. Je demeure au comité des investissements et ça me prendra plus de temps qu’avant. Je vais me concentrer sur ça et travailler avec les gens qui font le service aux clients et continuer mon travail sur le conseil d’administration. J’aime le travail. Et me rendre au bureau à vélo est important. C’est aussi un bon exercice pour l’esprit. Je vais continuer d’aller au bureau tous les jours à vélo. Je demeure à Montréal-Ouest. Ça me prend 45 minutes pour me rendre. C’est quelque chose que je fais depuis plusieurs années. J’arrête quand il commence à neiger, car ça devient un peu dangereux et glissant. Ça m’apporte beaucoup de plaisir. L’hiver, je joue plus souvent au tennis. Presque tous les jours. Je ne suis pas Djokovic, mais j’aime ça beaucoup. »

Quel a été votre meilleur investissement à vie ?

« Air Canada. C’est le gain le plus important que nous avons réalisé avec un titre. Nous avons réalisé un profit de 1,3 milliard avec Air Canada. Mais c’est seulement 3 % des gains totaux réalisés par la firme depuis sa création. La compagnie minière Teck Resources nous a aussi apporté un beau gain. Mais Air Canada a réellement été intéressante, car quand nous avons acheté ce titre durant la crise financière (2008-2009), l’action valait à peine 1,40 $. La compagnie avait besoin d’argent. Il y avait un déficit dans la caisse de retraite et beaucoup de gens pensaient que l’entreprise ferait faillite pour une deuxième fois. Mais nous avions une autre théorie. Nous avions bon espoir qu’Air Canada pouvait survivre et que l’action pouvait valoir 30 ou 40 $ avec la reprise de l’activité après la récession. »

Quel a été votre pire placement ?

« Il y en a eu quelques-uns. Plus que j’aurais aimé, mais les pires sont dans deux secteurs en particulier : l’industrie forestière et les finances. Avant la crise de 2009, nous avions investi dans une banque au Royaume-Uni, la Royal Bank of Scotland. J’aimerais oublier le nom de cette entreprise [rire]. Une autre erreur est de ne pas avoir anticipé que les journaux en papier comme La Presse allaient disparaître aussi vite. Nous avions un investissement dans Abitibi, une entreprise qui a fait faillite parce que la demande pour le papier s’est envolée. »

Quel conseil donneriez-vous à un jeune qui commence à investir aujourd’hui ?

« La chose importante est de réfléchir longuement avant d’investir. Il faut faire le travail pour comprendre comment le modèle d’affaires d’une entreprise fonctionne. Comment elle offre ses produits, ses services, les prix, les coûts. C’est un travail qui demande beaucoup d’analyse. Ceux qui cherchent des raccourcis vont perdre de l’argent. Il faut faire ses devoirs. »

Qu’est-ce qui pourrait changer pour améliorer l’efficacité du marché ?

« Je côtoie des gens qui ont confiance. Les problèmes surviennent lorsque les gens prennent des décisions trop rapidement sans vraiment comprendre ce qui se passe. Ils font des erreurs, et dans ces cas, ils perdent confiance. Mais c’est leur problème s’ils n’ont pas fait leur travail. Il y a tant d’opinions différentes dans le marché. On se dit qu’il y a des opinions à chaque coin de rue, mais pas nécessairement le résultat d’analyses judicieuses. Nous n’avons pas toujours raison. On commet des erreurs. On tente de faire des prévisions sur ce qui se passera demain. C’est une tâche difficile. »

Qui admirez-vous et pourquoi ?

« Warren Buffett est parmi les meilleurs investisseurs de l’histoire. Ici au pays, il y en a aussi de très bons. Des gars comme Eric Sprott, un gestionnaire de Toronto avec beaucoup de talent. Prem Watsa aussi, un homme très intelligent. Ron Woods avec qui j’ai déjà travaillé, ainsi que mon ancien patron à la caisse de retraite des employés du CN, Tullio Cedraschi. Je pense aussi à des dirigeants d’entreprise comme Norm Keevil et Don Lindsay qui ont fait un travail merveilleux chez Teck Resources. »

Qu’auriez-vous aimé faire si vous n’aviez pas été gestionnaire de placements ?

« Peut-être un travail en sciences pour essayer de découvrir de nouveaux médicaments. Mais je n’ai pas le talent pour ça. J’aime toutefois l’analyse et essayer de trouver une réponse, trouver le secret. »

Quelles sont vos sources d’information ?

« Je commence tôt le matin en regardant les nouvelles sur mon iPhone. Je consulte le Wall Street Journal, le Financial Times, le New York Times, La Presse et le Globe and Mail. Je lis aussi les rapports annuels et trimestriels des entreprises. Le jour, je travaille avec Bloomberg. Je lis aussi les rapports de Statistique Canada. J’aime regarder les chiffres à la source plutôt que de consulter des analyses faites par des courtiers. Je préfère bâtir ma propre opinion en consultant moi-même les données brutes. »

Quel a été votre parcours ?

« Je suis né en Tchécoslovaquie [dans l’actuelle République slovaque]. Mes parents sont venus ici à Montréal quand j’avais 9 mois. Je suis ici depuis ce temps. J’ai trois enfants et quatre petits-enfants. Je suis allé à l’Université McGill et je me suis notamment joint à la division des Investissements du CN en 1972 où j’ai été impliqué dans presque toutes les activités de la caisse de retraite des employés du CN. J’ai par la suite fondé Letko Brosseau avec Daniel Brosseau en 1987.