Chaque trimestre, La Presse demande à quatre experts d’analyser la conjoncture pour faire fructifier un portefeuille fictif d’un capital initial de 100 000 $.

Dans ce quatrième rendez-vous de 2023, ces experts reviennent sur le troisième trimestre et ils décrivent leurs perspectives pour les prochains mois sur les marchés financiers. Aussi, ils calibrent leur répartition d’actifs pour le quatrième et dernier trimestre de 2023 en fonction d’un portefeuille équilibré de référence. C’est-à-dire établi à 60 % en actions et 40 % en obligations et encaisse, avec des écarts de répartition limités à 10 % en plus ou en moins.

Quels constats du troisième trimestre 2023 ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

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Candice Bangsund

« L’optimisme extrême dans les marchés financiers durant la première moitié de 2023 a cédé le pas au scepticisme au troisième trimestre, alors que les investisseurs doutaient de la trajectoire de l’inflation, de la politique monétaire et de la conjoncture économique. La volatilité a refait surface et les marchés boursiers et obligataires ont reculé alors que le discours sur les “taux d’intérêt plus élevés pour plus longtemps” s’est imposé tandis que la résilience de l’économie aux États-Unis continue d’alimenter les pressions inflationnistes. Après un bon début d’année, les marchés boursiers ont inversé leur tendance et rechuté au troisième trimestre. En même temps, la forte remontée des taux obligataires a sapé l’appétit pour le risque des investisseurs et pesé sur les valorisations boursières. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

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Michel Doucet

« Le fait saillant du troisième trimestre sur les marchés financiers a été le réalignement du marché obligataire – c’est-à-dire la baisse de valeur des titres déjà en marché et la remontée du taux de rendement en pourcentage – en réaction à deux constats de la conjoncture économique aux États-Unis. D’une part, la performance de l’économie américaine, notamment le marché de l’emploi, continue de s’avérer plus positive [que prévu]. Par conséquent, même réduites, les pressions inflationnistes pourraient perdurer. D’autre part, dans ce contexte d’inflation tenace, les dirigeants de la Réserve fédérale américaine (Fed) ont réaffirmé que sa politique monétaire demeurait alignée sur des taux d’intérêt plus élevés et pour plus longtemps. Évidemment, un tel message a déplu en Bourse. Le repli observé en septembre constitue à mon avis une “pause-santé” après le fort élan haussier en première moitié d’année. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

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Martin Lefebvre

« Après avoir amorcé le troisième trimestre avec optimisme, les marchés boursiers ont rebroussé chemin en septembre, inquiétés par la montée effrénée des taux obligataires (10 ans) qui ont franchi un nouveau sommet depuis 2007, au Canada comme aux États-Unis. Plusieurs facteurs ont suscité cette pression haussière sur les taux obligataires : des chiffres d’inflation plus élevés que souhaité, la Fed qui a indiqué vouloir conserver des “taux plus élevés pour plus longtemps”, et enfin la croissance des émissions de titres de dettes pour financer les gros déficits du gouvernement américain. Dans les principaux marchés boursiers du monde, les indices de valeur des actions se sont repliés en septembre dans un contexte de resserrement des conditions financières avec la hausse des taux d’intérêt et l’élévation du dollar américain, combinées à la remontée des prix de l’énergie. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

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Hugo Ste-Marie

« La remontée des taux obligataires à long terme a surpris les investisseurs alors que le consensus allait dans le sens d’un éventuel repli des taux d’intérêt par la Fed, en conséquence de la décélération de l’inflation. Aussi, l’économie américaine a continué de surprendre par sa vigueur malgré les hausses de taux d’intérêt et l’impact de l’inflation depuis deux ans. Cette résilience de l’économie américaine pourrait soutenir les pressions inflationnistes. C’est d’ailleurs ce qui semble avoir motivé les dirigeants de la Fed à faire part de la possibilité de “taux plus élevés et pour plus longtemps”, un commentaire auquel les investisseurs ont tardé à croire avant qu’il ne fasse mal à la valeur marchande des obligations et des actions. En fait, l’encaisse s’est retrouvée [à être] le seul actif financier à rendement positif durant le troisième trimestre. »

Quelles perspectives pour les prochains mois ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« La perspective d’une inflation persistante et d’un maintien prolongé des taux d’intérêt élevés a fait évoluer le scénario économique vers la stagflation. En fait, j’ai l’impression que les décideurs des banques centrales des États-Unis et du Canada ne croient pas que l’importance de ramener l’inflation à la cible de 2 % justifie de plonger leur économie dans une récession. Ils semblent donc prêts à vivre avec une inflation plus élevée pendant une période prolongée. Même si je m’attends à ce que les banques centrales desserrent leur politique monétaire pour éviter une véritable récession, la croissance économique devrait néanmoins stagner sous le niveau souhaité en raison du poids déjà lourd des taux d’intérêt “plus élevés et pour plus longtemps” comme l’ont énoncé récemment les dirigeants de la Fed. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« Avec la bonne tenue relative de l’économie américaine, je m’attends à d’autres hausses de taux d’intérêt par la Fed afin de mater les pressions inflationnistes qui perdurent. Pour les épargnants, cette remontée des taux d’intérêt représente une occasion importante afin de rehausser et de sécuriser le rendement courant de leur actif d’encaisse et de liquidités. Pour les investisseurs en titres obligataires, dont la valeur marchande fluctue à l’inverse des variations de taux, la perspective d’autres hausses de taux par la Fed constitue un risque de mauvais rendement à court terme dans les portefeuilles d’obligations. C’est dans ce contexte que je m’attends à un meilleur rendement comparatif du côté des actions d’ici la fin de l’année. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« La bonne tenue de l’économie américaine par rapport au reste du monde continue de confondre les pronostics. Je m’attends à ce que la Fed persévère avec sa politique de taux d’intérêt élevés, ce qui pourrait peser sur la valeur des titres obligataires et des actions en Bourse. Je continue de m’aligner sur un scénario de ralentissement économique vers la stagnation. Un glissement en légère récession est encore possible si les taux obligataires devaient continuer de s’élever à un niveau supérieur à la capacité d’absorption de l’économie. »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Avec l’économie américaine qui demeure très forte, je m’attends à ce que la hausse des taux obligataires se poursuive au cours des prochains mois, mais avec moins de vélocité qu’auparavant. J’anticipe que les pressions baissières sur les multiples de valeur des actions en Bourse se maintiennent. En particulier sur la Bourse américaine, où, malgré le repli en septembre, les principaux multiples de valeur demeurent élevés par rapport à leur moyenne historique. L’impact des hausses de taux d’intérêt se fait de plus en plus sentir dans la situation financière des ménages et des consommateurs. Ça va continuer de s’aggraver au cours des prochains trimestres, ce qui augure une conjoncture économique difficile pour 2024. »

Où en est votre répartition d’actifs pour le quatrième et dernier trimestre de 2023 ?

Candice Bangsund, vice-présidente et gestionnaire de portefeuille, Répartition d’actifs globale, Fiera Capital

« La conjoncture d’inflation élevée et de stagnation économique justifie une position défensive en répartition d’actifs. Je maintiens donc une sous-pondération des actions et des obligations, avec une surpondération significative en encaisse [par rapport au portefeuille équilibré de référence]. Je m’attends à un contexte plus difficile pour les actions durant le quatrième et dernier trimestre de 2023. Du côté des actions canadiennes, le contexte économique de stagflation devrait soutenir les prix des matières premières, et donc bénéficier à l’indice S&P/TSX. La Bourse canadienne affiche des multiples de valeur relativement attrayants par rapport à ses pairs mondiaux, ce qui justifie toujours une surpondération. En revanche, sur la Bourse américaine, je considère que le rallye haussier de l’indice S&P 500 en première moitié de 2023 s’est essoufflé. Les multiples de valeur demeurent élevés à un moment où les actions de croissance les plus prisées pourraient être vulnérables à d’autres hausses de taux d’intérêt. »

Michel Doucet, vice-président, stratège d’investissement et gestionnaire de portefeuilles, Desjardins Gestion de patrimoine

« J’anticipe d’autres hausses de taux d’intérêt aux États-Unis, et donc un risque persistant de dépréciation dans le marché des titres obligataires, particulièrement ceux de plus longue échéance. Je remanie ma répartition en encaisse et en obligations de façon à pouvoir en réduire la durée. Ainsi, j’amplifie ma surpondération en encaisse de 15 % à 20 % [par rapport à 5 % dans le portefeuille équilibré de référence] et j’accentue ma sous-pondération en obligations de 30 % à 15 %, comparé à 35 % dans le portefeuille de référence. Du côté des actions, dans un contexte de taux encore élevés, j’anticipe que les titres de type “croissance” seront avantagés par rapport aux titres de type “défensif”. Je réduis donc ma répartition d’actifs dans les marchés boursiers comme le Canada et l’Europe, qui contiennent davantage de secteurs défensifs (banques, assurances, etc.). Je rehausse ma répartition d’actifs d’abord en actions américaines – redevenues attrayantes après le repli de septembre –, mais aussi dans les marchés émergents. »

Martin Lefebvre, chef des placements et stratège, Banque Nationale

« En attendant un éclaircissement de la conjoncture économique et financière, notamment en ce qui concerne les attentes d’un “atterrissage en douceur” de l’économie américaine, je préfère maintenir un positionnement plutôt défensif quant à la répartition d’actifs en portefeuille. Je rehausse légèrement ma surpondération en liquidités (de 7 % à 8 %) et en obligations (de 36 % à 37 %) par rapport au portefeuille équilibré de référence. J’accentue ma sous-pondération générale en actions (de 57 % à 55 %) parce que je considère que les attentes de bénéfice (par action) et les multiples de valeur demeurent trop élevés par rapport aux perspectives de ralentissement de l’économie. Tant que les taux de rendement obligataire demeureront élevés, pourquoi s’exposer à un risque d’une période de rendement moindre en Bourse ? »

Hugo Ste-Marie, directeur en stratégie de portefeuille et analyse quantitative, Banque Scotia Marchés mondiaux

« Dans la perspective d’un ralentissement de l’économie au cours des prochains mois, alors que les marchés obligataires et boursiers s’ajustent au sursaut des taux obligataires, je préfère demeurer prudent quant à la répartition d’actifs en portefeuille. Ainsi, je maintiens la surpondération d’encaisse à 15 %, par rapport à 5 % pour le portefeuille équilibré de référence. Je continue de sous-pondérer le marché obligataire en raison du risque de dépréciation en cas de nouvelle hausse des taux d’intérêt. Dans les marchés d’actions, je conserve ma répartition inchangée entre les principaux indices régionaux. En Bourse américaine, malgré le repli survenu en fin de troisième trimestre, je considère que le multiple de valeur (cours/bénéfice anticipé) de l’indice S&P 500 demeure élevé par rapport à sa moyenne historique. Les principaux indices boursiers au Canada et ailleurs dans le monde sont revenus autour de leur moyenne historique ou en dessous. »