En mettant complètement fin à la production interne de ses émissions de divertissement, et en la confiant à des producteurs externes indépendants, Groupe TVA « se fait carrément une passe sur la palette », accuse le syndicat qui représente les 547 employés licenciés.

« TVA va pouvoir continuer de faire exactement la même chose, mais les travailleurs, plutôt qu’avoir une job syndiquée avec un régime de retraite et des assurances, deviendront pigistes chez des producteurs indépendants liés à TVA. Ça ne peut pas être plus clair », tonne Steve Bargoné, conseiller syndical du Syndicat des employés de TVA, affilié au Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP).

Lors de l’annonce de sa restructuration majeure jeudi, Groupe TVA a précisé qu’environ 300 des 547 licenciements visaient des employés de la production interne. L’entreprise « entamera des discussions avec ses partenaires afin d’encourager l’embauche des employés touchés », a-t-elle indiqué dans un communiqué.

La direction de TVA a expliqué avoir « bon espoir » de replacer une partie de ces employés chez des producteurs indépendants avec lesquels elle fait affaire, sans toutefois donner plus de précisions.

Québecor, la maison mère de TVA, détient notamment une participation minoritaire dans Pixcom, une des principales boîtes de production externe de la province, qui produit la série de fiction Indéfendable, diffusée à TVA. Elle détient également des parts de Productions Déferlantes, qui est derrière La voix, Chanteurs masqués et le magazine culturel Sucré salé, toutes diffusées à TVA.

Ces producteurs indépendants bénéficient de crédits d’impôt, auxquels les diffuseurs (comme TVA, Radio-Canada ou Noovo) n’ont pas droit lorsqu’ils produisent des émissions à l’interne.

Consolidation

Pour le syndicat, l’éventuelle embauche des employés licenciés par des producteurs liés à TVA est une façon détournée de casser la convention collective tout en bénéficiant des crédits d’impôt. « C’est effrayant. [TVA] se débarrasse du syndicat, de ses obligations syndicales et du contrat de travail, et ils ont les deux mains dans le sac de bonbons », lance M. Bargoné, qui entend contester la décision devant les tribunaux.

Groupe TVA ne nous a pas accordé d’entrevue pour cet article. Mis à part les bulletins d’informations et les contenus d’actualité, l’entreprise ne produisait plus que trois émissions à l’interne avant l’annonce de sa restructuration : La poule aux œufs d’or, Le tricheur et Vlog. D’autres producteurs indépendants que Pixcom et Productions Déferlantes pourraient souhaiter les produire.

TVA n’est par ailleurs pas le seul diffuseur à détenir une participation minoritaire au sein de boîtes de production. Bell Média, de son côté, possède des intérêts dans Sphère Média, qui produit notamment l’émission Aller simple, diffusée chez Noovo.

L’humoriste et producteur Louis Morissette, président de KOTV, est de ceux qui dénoncent la participation financière des diffuseurs dans des entreprises de production indépendantes, qu’il voit comme une forme de « consolidation sous le chapeau des diffuseurs ».

M. Morissette se dit attristé par l’annonce de TVA, qui est selon lui « symptomatique d’une industrie en danger ». « C’est extrêmement dangereux que les diffuseurs aient des intérêts financiers dans des compagnies de production. C’est une façon détournée de profiter des avantages fiscaux dont bénéficient les producteurs indépendants », soutient M. Morissette, dont la boîte est depuis longtemps en froid avec Québecor.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’humoriste et producteur Louis Morissette

La nature des ententes est nébuleuse. Ils contournent l’essence de la règle.

Louis Morissette, humoriste et producteur

La Société de développement des entreprises culturelles (SODEC), organisme gouvernemental qui administre les crédits d’impôt remboursables accordés pour la production télévisuelle, reconnaît que le pourcentage de participation des diffuseurs comme TVA et Noovo (Bell Média) au sein des producteurs indépendants n’est pas connu, mais ajoute qu’ils ne sont pas contrôlés par les diffuseurs pour autant.

« Le producteur indépendant doit rester roi et maître de ce qu’il développe et produit. Dans les conversations que nous avons avec les producteurs, ils nous assurent que c’est le cas, affirme la PDG de la SODEC, Louise Lantagne. Pixcom, ils n’ont pas juste des shows à TVA. Ils nous assurent qu’ils ont les coudées franches [même si Québecor en est actionnaire]. »

Le transfert de la production des émissions Le tricheur, La poule aux œufs d’or et Vlog à l’externe est anecdotique aux yeux de la SODEC quand on tient compte de l’ampleur des coupes annoncées par Groupe TVA. « Ce n’est pas comme si c’était 50 shows qui sont envoyés d’un coup à des producteurs externes », commente Mme Lantagne.

« Ce que je vois de l’annonce de M. Péladeau, c’est que l’ensemble du modèle télévisuel est en grave difficulté, dit-elle. Ils ne font pas juste ça pour couper dans le gras. C’est une transformation majeure, et je crois que ce qu’on voit, c’est très alarmant », estime la PDG de la SODEC.