Les créateurs de contenu, communément appelés influenceurs, auront maintenant leur association, dont la mise sur pied pourrait aider à rétablir une réputation parfois malmenée. Si le milieu salue l’initiative, il y a toutefois un certain scepticisme quant au poids réel d’un tel regroupement.

Une fête bien arrosée dans un avion où, en pleine pandémie, les règles sanitaires sont bafouées, la promotion d’un produit pour blanchir les dents interdit au pays, les frasques de certains influenceurs d’ici et d’ailleurs ont nui à la réputation de la jeune profession. Afin de lui donner ses lettres de noblesse et mieux encadrer ceux qui la pratiquent, l’Association des créatrices et créateurs de contenu du Québec (ACREA) verra officiellement le jour en mai.

Un guide des bonnes pratiques, des formations portant sur les erreurs à ne pas commettre lorsque l’on colle son nom à une marque ou sur les règles à suivre quand vient le temps de remplir sa déclaration de revenus sont autant d’initiatives que l’ACREA, qui verra le jour à l’occasion du deuxième Gala Influence Création, veut mettre en place.

L’objectif n’est pas de devenir la police des créateurs de contenu, lance toutefois d’emblée la cofondatrice et présidente du conseil d’administration, Maude Belval. « [Mais] c’est sûr qu’on veut donner aux créateurs les outils nécessaires pour qu’ils puissent prendre les bonnes décisions par rapport aux collaborations qu’ils vont choisir », explique-t-elle au bout du fil.

Une image à redorer

Questionnés à plusieurs reprises sur les différentes frasques qui ont entaché la réputation des influenceurs, les représentants de la future association ont chaque fois martelé qu’il fallait faire sortir le « positif ».

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Maude Belval, cofondatrice et présidente du conseil d’administration de l’ACREA

On veut vraiment encourager la relève des créations de contenu et on aspire à élever cette profession-là. Même si des évènements malheureux n’étaient pas arrivés, probablement que notre association aurait vu le jour.

Maude Belval, cofondatrice et présidente du conseil d’administration de l’ACREA

« Un bon créateur de contenu, c’est quelqu’un qui va avoir un impact social positif », ajoute pour sa part Anthony Tran, créateur de contenu et autre cofondateur de l’ACREA.

Il s’est par ailleurs lui-même mis en scène à bord d’un vol de Sunwing où l’on pouvait lire des messages tels que « Moi avec Sunwing pour redorer l’image des influenceurs », « Pas de party, juste se reposer » ou encore « Rien d’illégal, juste du thé ».

Ces publications faisaient en quelque sorte contrepoids au fameux vol du transporteur en direction du Mexique qui, en pleine pandémie, avait à son bord un groupe d’influenceurs faisant la fête en faisant abstraction de plusieurs règles sanitaires alors en vigueur.

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Anthony Tran, créateur de contenu et cofondateur de l’ACREA

L’idée, c’est de dire que de la bonne création de contenu, ça existe. Il y a plus de positif que de négatif.

Anthony Tran, créateur de contenu et cofondateur de l’ACREA

Anthony Tran vit de ce métier depuis deux ans en partageant avec sa communauté (16 000 abonnés sur Instagram et 280 000 sur TikTok) ses critiques de restaurants ou les préparatifs entourant son mariage à venir.

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Léonie Pelletier, ex-influenceuse et fondatrice de Oui L’agence

N’est pas un bon créateur qui veut, croit toutefois Léonie Pelletier, ex-influenceuse et fondatrice de Oui L’agence.

Présentement, tout le monde peut se proclamer influenceur. C’est à nous en tant qu’agence de bien faire notre travail pour savoir qui a une qualité d’abonnés, par exemple.

Léonie Pelletier, ex-influenceuse et fondatrice de Oui L’agence

Le rôle de Léonie Pelletier est d’engager des créateurs de contenu pour ses clients parmi lesquels figurent Provigo, Maison Ladore et Jean-Paul Fortin.

Agent d’une vingtaine de créateurs de contenu, Pierre-OIivier Beaudoin, fondateur de l’agence Muze Influence – qui a lui également été dans le métier –, estime lui aussi qu’il faut séparer le bon grain de l’ivraie. « On ne peut pas comparer mes artistes qui gagnent très bien leur vie et qui travaillent aussi à la radio et à la télé avec ceux qui ont des abonnés et que l’on voit dans les vols de Sunwing. Il faut distinguer les deux. »

« On ne peut pas comparer une Marianne Plaisance [artiste visuelle, animatrice] qui a des millions d’abonnés, qui fait de la création, à une fille [à bord du vol] de Sunwing dont on ne connaît même pas le nom, renchérit-il. Il y a beaucoup d’éducation à faire. »

Une fois l’association bien en place, Anthony Tran croit que ses représentants n’hésiteront pas à dénoncer publiquement des situations où des gens s’improviseraient influenceurs et commettraient des bourdes.

Une association indispensable ?

Malgré tout, autant Léonie Pelletier que Pierre-Olivier Beaudoin expriment un certain scepticisme par rapport à l’ACREA et les pouvoirs réels qu’elle pourra exercer. « Je laisse la chance au coureur, assure M. Beaudoin. Pour moi, personnellement, ça ne change pas grand-chose. Ça va peut-être donner des outils aux jeunes qui commencent pour apprendre les règles du métier. »

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L’ACREA verra officiellement le jour en mai.

« L’intention, je pense qu’elle est bonne, tient-il à ajouter. Après ça, il faut faire ses preuves. Tu ne lances pas une association sur le coin d’une table. »

L’idée d’une association est bonne, affirme également Léonie Pelletier. « Je pense que c’est une nécessité. Mais j’ai une petite réserve », dit-elle. Mme Pelletier se questionne en fait sur les pouvoirs que pourrait avoir l’ACREA.

Elle croit néanmoins que le métier doit être respecté notamment en ce qui concerne la rémunération. En ce sens, ce sont des agences comme la sienne qui doivent jouer ce rôle, selon elle.

« Il y a vraiment des normes dans l’industrie : basées sur le nombre d’abonnés, la qualité du contenu, le type de contenu (publication, story…). »

Résultat, certains influenceurs peuvent vivre de leur profession en gagnant 50 000 $, 100 000 $, 150 000 $ par année.

Mme Pelletier se porte également garante des influenceurs qu’elle choisit pour ses clients. Elle s’assure de travailler avec les bonnes personnes et de ne pas faire affaire avec des gens qui auraient déjà tenu des propos diffamatoires ou racistes, par exemple.

Définir la profession

Si tous s’entendent pour dire que la profession de créateur de contenu ou d’influenceur reste encore à définir, Camille Alloing, professeur agrégé en relations publiques à l’UQAM et auteur de l’étude « Affects numériques et travailleurs du clic », croit qu’un encadrement est souhaitable et estime que l’ACREA pourrait jouer ce rôle.

« Avant, ça ne reposait que sur des plateformes. Ce n’était qu’Instagram ou Facebook qui décidaient ce que l’on pouvait faire ou pas, ce que l’on pouvait vendre ou pas. Et là, on ouvre la porte. On a une entité avec laquelle dialoguer. Est-ce qu’elle est représentative ? Est-ce qu’elle est vraiment pertinente ? Ça sera au milieu lui-même de décider. »

Le professeur Alloing voit de plus en plus de jeunes qui aspirent à devenir un jour créateurs de contenu, à en faire leur métier.

« Donc, soit on peut encore laisser cette profession totalement entre les mains des plateformes, des agences, soit on essaie de la délimiter. »

Dit-on influenceur ou créateur de contenu ?

Le terme influenceur a une connotation plus péjorative, reconnaissent plusieurs représentants de l’industrie qui préfèrent utiliser le mot créateur. Or, les deux termes n’ont pas tout à fait la même signification, estime Pierre-Olivier Beaudoin, fondateur de l’agence Muze Influence. « Un influenceur, c’est quelqu’un qui a une communauté, qui va pouvoir influencer les décisions des gens. Que tu sois une personnalité publique, un sportif, un animateur ou un créateur de contenu, tu es un influenceur, explique-t-il. Les créateurs de contenu sont des gens qui vont créer sur différentes plateformes du contenu humoristique, social, beauté, des propositions famille. »