Il y a 30 ans était fondé à Québec un des premiers studios de la province, Megatoon, qui déménagera plus tard à Montréal et deviendra Behaviour Interactive. Entre le premier succès en 1997, les moments sombres de la fin des années 2010 et son statut de plus grand studio indépendant au Canada, son fondateur et PDG actuel, Rémi Racine, et son directeur technologique, Stephen Mulrooney, reviennent sur trois décennies de création.

La Presse : En 1992, pourquoi se lançait-on dans le jeu vidéo ?

Rémi Racine : À ce moment-là, on y allait pour faire des jeux PC, en 1994. Quand je fusionne avec Megatoon en 1996, j’ai plus de moyens, l’idée est alors de faire des jeux sur console. Notre premier jeu console, Jersey Devil, est en préproduction, pour PlayStation. Quand j’arrive chez Megatoon, ils ont quatre projets, moi, j’en ai trois.

LP : Comment faisiez-vous ? Il n’y avait pas de formation, vous n’aviez pas un bassin de 4000 personnes disponibles…

RR : Les programmeurs, alors, avaient un DEC. J’avais un seul programmeur avec un bac, il avait fait son génie.

LP : Quel était l’esprit avec lequel on concevait des jeux vidéo ? Vous ne visiez pas ce qu’on appelle maintenant des AAA ?

RR : C’était tout petit. Mon premier GDC [Game Developers Conference], c’est au Westin Santa Clara, la conférence au complet est dans l’hôtel, tout le monde y demeure. Le bar, c’est là que la business se passe. On est 200, quelque chose comme ça.

LP : Ce ne devait pas être très glamour, en ce temps-là, être dans le jeu vidéo ?

RR : Oh non. On était dans une industrie qui ne générait pas de cash. Il y avait plus d’investissements que de revenus, mais les revenus augmentaient, de 8 à 10 % par année. Nous autres, dès 1999, quand on a sorti Jersey Devil, on était positifs. L’année suivante, quand on a commencé à faire des jeux pour d’autres, Bugs Bunny et tout, on était profitables.

LP : Pourquoi être allé dans le jeu vidéo ? Un rêve de petit gars ?

RR : D’abord, j’étais un entrepreneur, je le suis encore, et je l’étais très jeune. J’avais fait un bac en finance et je m’en allais dans l’immobilier. J’avais ma petite entreprise et je m’ennuyais pour mourir. J’étais gamer, sur PC et console. Quelqu’un m’a contacté, il voulait faire un jeu, ce n’était même pas un jeu en fait, comme un CD-ROM. On a fait un projet sur l’histoire du Canadien, on avait dans les plans de faire un jeu qu’on n’a finalement jamais fait. L’autre aspect, c’est que l’immobilier est une business locale. L’attirance pour le jeu vidéo, c’est que c’est une industrie mondiale.

LP : Quelles sont les principales phases de Behaviour ?

RR : La première est Jersey Devil : ça a généré des jeux qu’on faisait pour d’autres, sur de la technologie qu’on a développée. Après ça, on a grossi, on a fait trois jeux l’année suivante. En 1998, quand on a déménagé à Montréal, on était 60.

Le deuxième jalon, c’est le jeu WET, commencé en 2006. On est en 2009, il faut faire des jeux pour 13 ans et plus. Le marché nous disait que le marché des jeux pour enfants avait plafonné.

Stephen Mulrooney : Il y avait une explosion des budgets pour des projets, qui étaient plus gros, avec plus de monde, avec des pipelines plus complexes. WET nous a permis de faire la transition. La crise financière de 2008-2009 a beaucoup changé l’industrie, Facebook était là, beaucoup moins de jeux pour enfants, plus de jeux gratuits. Le marché avait changé.

LP : Avez-vous failli fermer ?

RR : Non, mais de 2008 à 2013, ç’a été dur. On avait de la misère à faire des profits, on a été obligés de licencier, mais on a fait de belles choses malgré les difficultés, comme Naughty Bear.

La troisième phase, pour nous, c’est Dead by Daylight. Là, on a du succès, mais on n’est pas éditeur. La quatrième phase est de devenir éditeur, on s’occupe du marketing du jeu. Tu as le lien direct avec les influenceurs, les joueurs.

LP : Comment avez-vous réussi à rester indépendants ?

RR : On aurait pu se vendre à d’autres à peu près tout le temps depuis 2000. Le processus ne m’intéressait pas, aller travailler pour d’autres. Et j’ai bien fait, en rétrospective : la business a pris beaucoup de valeur. Pourquoi on ne vend pas aujourd’hui ? Il y a des choses à faire avant de passer à une autre étape. Est-ce que ce sera d’aller en Bourse ? Avant, il y a des choses que j’aimerais faire dans l’entreprise. Et je ne suis pas le seul dans le monde qui a une entreprise de taille moyenne qui ne veut pas vendre. Il y en a 20, 30 ou 40, ils sont en Europe de l’Est, en Suède, en Angleterre. Tu vas les voir, ils disent : « Moi, je ne vends pas, ça ne m’intéresse pas du tout, on a du fun, on ne veut pas travailler pour d’autres. »

Pour des considérations de concision et de clarté, cette entrevue a été remaniée.

Behaviour en sept dates

1992

Fondation du studio Megatoon à Québec. Deux ans plus tard, Rémi Racine cofonde Multimedia Interactive.

1997

Les deux entreprises sont fusionnées au sein de Behaviour, qui deviendra par la suite Artificial Mind & Movement (A2M). Lancement du jeu Jersey Devil.

1999

Sortie du jeu Bugs Bunny, Lost in Time.

2004

Le jeu Scaler sort pour GameCube, Xbox et PlayStation 2.

2009

WET, un jeu d’action à la troisième personne qui marque un virage pour Behaviour, sort sur la PlayStation 3 et la Xbox 360.

2010

Artificial Mind & Movement reprend le nom de Behaviour Interactive. Lancement de Naughty Bear, où le joueur personnifie un ours en peluche méchant.

2016

Lancement du plus grand succès de Behaviour, Dead by Daylight, un jeu d’horreur-survie multijoueur qui compte plus de 50 millions de joueurs.