L’infonuagique ne convient pas à tous, constatent des entreprises

Et si l’infonuagique n’était pas la panacée promise depuis une décennie ?

Dans le ciel bleu du cloud, pour lequel beaucoup d’entreprises dans le monde ont éteint leurs serveurs pour aller notamment sur les plateformes d’Amazon, de Microsoft ou de Google, des turbulences sont apparues récemment. Des entreprises en sortent et assurent économiser des millions. Certains experts approuvent, d’autres se méfient ou rappellent les nombreux avantages de l’infonuagique, pour les entreprises comme pour le simple utilisateur. Le point.

600 milliards US

Marché mondial estimé de l’infonuagique dite « publique » en 2023, selon la firme Gartner. Il s’agit du modèle classique où une entreprise ou un individu loue les plateformes informatiques d’un fournisseur. Celui-ci offre notamment le stockage des données, mais également un large éventail de services allant de l’analyse par l’intelligence artificielle à la gestion des ressources humaines, des sites web et de la comptabilité.

24 %

Proportion des entreprises dans le monde en 2023 qui n’utilisent que l’infonuagique publique pour leurs besoins informatiques, selon le plus récent rapport de la firme Flexera. En outre, 72 % ont une utilisation « hybride », combinant des fournisseurs externes et leurs propres serveurs.

Le pavé dans la mare

En octobre 2022, une vedette de la techno aux États-Unis, David Heinemer Hannsson, associé à l’outil de gestion de projet Basecamp, a annoncé son départ du nuage. Il s’attendait à des économies de 9,5 millions en cinq ans. Il a notamment dénoncé les marges de profit « obscènes » de 30 % d’Amazon et de sa plateforme AWS. Quelques jours plus tard, le PDG du géant Dell, Michael Dell, renchérissait sur LinkedIn et affirmait constater que « de plus en plus d’organisations de toutes les tailles en arrivent aux mêmes conclusions ».

L’impression de nombre de ces entrepreneurs, c’est qu’ils ont été appâtés par des tarifs imbattables il y a une décennie, notamment par Amazon, Microsoft et Google, qui les ont considérablement haussés depuis 2020.

Coûts fixes recherchés

Marc-Antoine Gagnon, président de l’agence web numérique Arobas, le constate également : « Les gens sortent du cloud. On le voit avec certains partenaires. Il y en a qui reconsidèrent leurs besoins, qui veulent ramener l’infonuagique vers des infrastructures physiques en espérant avoir des coûts fixes. »

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE

Marc-Antoine Gagnon, président de l’agence Arobas

Oui, le coût du nuage a augmenté avec les années, note-t-il, mais ce n’est pas nécessairement parce que les fournisseurs sont plus gourmands. Essentiellement, ce sont les besoins des entreprises qui ont grossi. « J’ai des clients qui payaient 100 $ par mois, ils paient maintenant 2000 $ […] Mais si ton entreprise est en croissance, que tu as plus de trafic et d’employés, ça te coûte plus cher par mois. »

Chez Arobas, il a réussi à mettre sur pied un système permettant à ses plus petits clients de tabler sur des coûts fixes avec un partage de groupe. « Ceux qui ne consomment pas paient pour ceux qui consomment plus. Mais ce sont des solutions web, on ne va pas dans le streaming vidéo et ce n’est pas destiné aux grandes entreprises. »

La défense

Aucun des grands fournisseurs d’infonuagique ne confirme avoir augmenté ses tarifs, mais tous évoquent les changements chez leurs clients, qui demandent plus de services et de capacité informatiques. Chez AWS, Shaown Nandi, directeur des technologies, précise en entrevue que depuis le lancement en 2006, l’entreprise a « réduit 129 fois les prix ».

« Si un client utilise la même chose aujourd’hui qu’au début, il paiera moins cher […] En 2012, si vous aviez un produit, ça vous coûtait tant. Si vous en avez trois, ça va vous coûter plus. »

Même assurance chez Google Cloud Canada, où le directeur Farsad Nasseri rappelle que l’utilisation a explosé, notamment dans le contexte de la pandémie. « Il faut comparer des pommes avec des pommes. L’utilisation de données augmente de façon extraordinaire d’année en année. Même si elle n’est pas dans l’infonuagique, une entreprise va devoir jongler avec ça. »

Chez Microsoft Canada, la cheffe des communications Lisa Gibson prend note elle aussi du débat entourant « la perception récente du nuage ». « Nous observons un besoin continu de la part des clients et des partenaires d’utiliser la technologie pour résoudre les problèmes critiques liés à l’avenir du travail hybride, de la chaîne d’approvisionnement, de la durabilité, de la sécurité et plus encore […] Ils doivent s’assurer de tirer le maximum de leurs dépenses numériques, afin de pouvoir faire plus avec moins. »

Budget et malentendus

La grogne à l’égard de l’infonuagique repose souvent sur une incompréhension des vrais coûts, estime Philippe Niewbourg, analyste indépendant et spécialisé dans le domaine de l’analyse de données. « Oui, les prix du cloud augmentent, mais les prix en général augmentent, à cause de l’inflation, des pénuries de puces, et ça va t’affecter même si tu as tes propres serveurs. »

Il faut lire les nombreuses clauses avant de choisir un fournisseur infonuagique, rappelle-t-il. « L’entreprise qui se lance là-dedans les yeux fermés va se faire laminer. Est-ce qu’il y a beaucoup d’entreprises qui ont calculé le volume fluctuant de leurs données ? Souvent, les fournisseurs vont proposer un package d’entrée de gamme, mais on constate ensuite des lenteurs, on veut mieux, ça coûte plus cher. »

Le profil de l’entreprise qui profite le mieux de l’infonuagique, selon lui : petite, avec des hausses de besoins ponctuelles. « Plus elles sont grandes, plus elles ont du mal à voir les résultats en termes de baisses de coûts. Entre les deux, les entreprises moyennes doivent calculer. »

Nuages divers

Chez un des rares fournisseurs infonuagiques importants au Québec, Micro Logic, on remarque qu’on est entré dans une deuxième phase qui modifie considérablement les besoins. « Dans un premier temps, on parlait d’applications somme toute faciles à faire migrer, le courriel, Office 365, explique Guy Gagnon, vice-président chez Micro Logic. Les entreprises ont eu un certain succès et ont voulu aller plus loin, intégrer des applications plus complexes, de la téléconférence. »

Et si on faisait confiance à un fournisseur, la norme est maintenant d’en utiliser plusieurs pour « aller chercher le produit qui nous convient le mieux ». C’est d’ailleurs le choix de 87 % des clients de l’infonuagique en 2023, selon la firme Flexera.

En savoir plus
  • 21,7 %
    Expansion du marché de l’infonuagique publique en 2023, en dépenses
    Gartner, avril 2023
    32 %
    Parts de marché mondiales d’AWS, d’Amazon, au premier trimestre de 2023. Azure, de Microsoft, et Google Cloud suivent avec respectivement 23 % et 10 %.
    STATISTA