Vous ne connaissez pas Félix LaHaye ? C’est que vous avez probablement plus de 25 ans, n’êtes pas un mordu de jeux vidéo et de sports électroniques et ne vivez pas en Californie. Ce touche-à-tout qui a grandi à Outremont et déménagé à Los Angeles il y a 12 ans est au cœur d’un véritable empire bigarré dont il résume ainsi la raison d’être : « créer du divertissement, du média et du marketing pour des gens entre 18 et 25 ans ».

« C’est comme ça que j’expliquerais ça à ma tante », précise-t-il en riant.

Il est, dans les faits, un observateur tombé amoureux de cette génération que les grandes marques aimeraient tant séduire. « On est une compagnie spécialisée dans le jeu vidéo et les sports électroniques, explique-t-il. Le jeu vidéo est de loin la forme de culture et de divertissement la plus importante, en termes de revenus et de participation, pour cette génération Z. »

Il a fait sa marque avec des campagnes improbables, vendant par exemple Tide, Cottonelle ou Tampax en association avec la NFL à ces jeunes, en recrutant de grandes marques comme L’Oréal, Johnson & Johnson, Calvin Klein, Unilever et Coca-Cola. Il a été choisi parmi les jeunes les plus prometteurs d’Inc. en 2016 puis par Forbes en 2017 pour le 30 Under 30.

De la musique à Los Angeles

Difficile d’éviter les malentendus quand un journaliste de la génération X interviewe un Y de 35 ans à propos de la génération Z. Le CV de Félix LaHaye est lui-même un défi. Né à Montréal en 1988, il a fait ses études secondaires en France avant de s’inscrire en économie de gestion à la London School of Economics en 2006. Auteur-interprète, il signe un contrat d’enregistrement en 2007. De retour à Montréal, il travaille dans deux stations de radio.

« C’était cool, je voulais rester dans la musique, raconte-t-il. Malheureusement, la radio n’est pas un média qui marche très bien aujourd’hui. J’ai dit à un ami que je voulais aller à Los Angeles. Dix jours plus tard, on déménageait. »

C’est là qu’il cofonde en 2013 la première agence de marketing liée aux sports électroniques, Instabrand, qui deviendra Open Influence. En 2018, il fonde United Esports, qui organise des compétitions de sports électroniques, possède aujourd’hui 27 bars Kappa Meltdown dans le monde et investit dans l’écurie Talon Esports.

C’est une agrégation de tout ce qui me fait plaisir. Je n’ai jamais essayé de créer des compagnies de marketing… et je finis toujours avec des compagnies de marketing !

Félix LaHaye

Rapidement, le jeune homme et ses partenaires ont vu l’intérêt des grandes marques pour aborder la génération Z. Leur approche est un résumé de la culture numérique de ces jeunes.

« Maintenant, tout le monde se fiche de nous, pauvres milléniaux. Mais il y a de grandes différences entre les Z et les milléniaux, beaucoup plus qu’entre les milléniaux et la génération X. Il y a un énorme schisme. C’est une super belle génération. »

Lessive et papier hygiénique

Le jeu vidéo chez les Z est central, analyse-t-il, et filles et gars s’y adonnent autant. « C’est une activité sociale, ils se parlent quand ils jouent. Eux, quand ils finissent un tournoi, ils ne vont pas dans les bars, ils vont à l’hôtel jouer à Fortnite », raconte-t-il.

On ne séduit évidemment pas ces jeunes avec la bonne vieille méthode de la publicité banale insérée dans un film ou une émission. « Si une publicité interrompt l’expérience de l’utilisateur et qu’elle n’est pas divertissante, elle va être perçue négativement, explique M. LaHaye. Il y a encore beaucoup de gens qui choisissent de faire des pubs plates, alors qu’il est possible de faire des publicités qui sont cool à voir. On en fait, sur Twitch, YouTube. »

L’autre niveau, nettement plus prometteur et surprenant, c’est d’associer un commanditaire à un évènement. On a ainsi mis sur pied des compétitions appelées Tide Laundry Trials, évidemment commanditées par la lessive Tide, pendant lesquelles des vedettes s’affrontent dans un jeu vidéo. Le perdant s’engage à faire la lessive des autres joueurs.

Autre exemple : Cottonelle voit sa marque en vedette quand un joueur réussit dans un jeu vidéo ce qu’on appelle un « Team Wipe », une élimination instantanée de l’équipe adverse qu’on pourrait traduire par un « essuyage d’équipe ».

« C’est ça la différence entre 2023 et 1995, affirme Félix LaHaye. Avant, ton émission et tes pubs devaient être assez générales pour toucher tout le monde. Maintenant, on sait qui regarde, ce qu’ils veulent voir. »