Google s’est cassé les dents avec le jeu infonuagique, Amazon peine à faire fonctionner sa plateforme Luna, tandis que Nvidia, Microsoft et Sony attirent tranquillement des adeptes sans faire les manchettes. Fausse bonne idée ou innovation en attente de son moment de gloire, le jeu infonuagique ? Le point.

Présenté il y a quelques années comme la voie de salut du jeu vidéo, celle qui allait permettre d’accéder à tous les jeux sans ordinateur puissant ou console, le jeu infonuagique a de toute évidence de la difficulté à séduire les joueurs, souvent échaudés par des expériences médiocres.

Dès 2017, soit deux ans avant le lancement en grande pompe de Stadia et les promesses de Google, Nicolas Hubert s’était initié au jeu infonuagique avec Snoost Cloud Gaming. Le chercheur postdoctoral à la Chaire Raoul-Dandurand de l’Université du Québec à Montréal (UQAM) était le client type de ce qu’on appelle le jeu infonuagique, ou « jeu en nuage », désigné en anglais comme le « cloud gaming ». Un ordinateur peu puissant et une connexion internet vers un serveur suffisent en théorie pour jouer à n’importe quel jeu vidéo gourmand en ressources informatiques.

« J’avais utilisé Snoost pour Star Citizen, explique-t-il. Ça marchait plus ou moins bien, il y avait de longs délais et j’ai abandonné. » Le service Snoost est mort cette année-là.

M. Hubert s’est alors abonné à ce qui est aujourd’hui la plus importante plateforme de jeu infonuagique, GeForce Now, du fabricant de cartes graphiques Nvidia. « Au début, c’était la version bêta, ça allait, il y avait de la latence, mais ça restait agréable à jouer. Le catalogue correspondait à mes attentes, j’aime bien Assassin’s Creed, ils avaient FIFA, Tekken. »

Hauts et bas

Mais voilà, en 2020, GeForce Now a fait son lancement officiel, augmenté les prix et retiré de nombreux jeux, dont les préférés du chercheur de l’UQAM. « Je n’avais plus aucun intérêt, même si la latence avait diminué et que l’expérience a été améliorée. J’ai acheté un laptop de jeu vidéo Razer Blade. »

L’exemple de Nicolas Hubert résume plutôt bien les hauts et les bas du jeu infonuagique. L’expérience de jeu est parfois médiocre, parfois très acceptable selon les jeux, la stabilité de l’internet et la plateforme. L’offre de titres est parfois impressionnante, mais extrêmement mouvante.

Techniquement, nos expériences avec GeForce Now, Game Pass et PS Plus, les trois principales plateformes, ont été globalement satisfaisantes, malgré quelques accrocs.

Le nouveau venu au Canada depuis mars dernier, Luna d’Amazon, offre une centaine de jeux pour un prix de base de 12,99 $. Notre essai ici a été nettement moins intéressant, au moins un jeu sur deux étant problématique. Amazon prévient d’ailleurs les joueurs sur son site que « la qualité du streaming pourrait être affectée à l’extérieur des États-Unis ».

Stadia, dans une critique publiée dans La Presse en 2020, nous avait donné les mêmes soucis. Google a fermé ce service en janvier dernier.

Lisez l’article « Google : game over pour la plateforme de jeux vidéo en ligne Stadia »

Cela dit, même pour des plateformes performantes, le consensus est que la qualité n’atteint jamais celle des jeux sur un ordinateur ou une console. « Malgré les grandes avancées technologiques récentes, le streaming ne peut compétitionner avec les jeux téléchargés, tranche le réputé site Kotaku. La latence, même mineure, ne peut être ignorée. »

Pas de « moment ChatGPT »

Les joueurs les plus engagés, très souvent, vont faire comme Nicolas Hubert et revenir à une console ou à un PC pour jeu vidéo.

Il y a pourtant des arguments qui militent en faveur du jeu infonuagique, estime Christopher Chancey, PDG du studio indépendant ManaVoid et figure bien connue du jeu vidéo québécois.

Il y a des jeux qui sortent qui ont des demandes graphiques extrêmement grandes. Avec Diablo IV dernièrement, ma carte graphique, elle commence à tousser. Il faut soit que je m’achète une nouvelle carte graphique, ou peut-être que je pourrais réfléchir à une solution nuage.

Christopher Chancey, PDG du studio indépendant ManaVoid

Il reconnaît qu’en Amérique du Nord et en Europe, les joueurs ont généralement les moyens de s’équiper adéquatement pour assouvir leur passion. Ce n’est pas le cas partout, rappelle-t-il. « C’est mon chapeau d’entrepreneur qui parle, mais je pense à des endroits sur la planète où il n’y a pas tant d’ordinateurs que ça, l’Afrique, l’Inde, même la Chine où c’est très mobile. Ça, c’est l’autre cas d’utilisation, de donner l’opportunité à des joueurs dans ces pays d’accéder à des jeux dernier cri. Ça, c’est intéressant. »

On estime que PS Plus Premium, qui permet le streaming, comptait quelque 8 millions d’abonnés en mars dernier. Impossible de savoir quelle portion des 25 millions d’abonnés de Xbox Game Pass utilise le service Cloud Gaming, toujours présenté comme étant en version bêta. Les 25 millions d’inscrits à GeForce Now sont nécessairement des adeptes du jeu infonuagique. Quel que soit le calcul, il est évident que le jeu infonuagique n’est pas encore un grand succès populaire, note M. Chancey.

« Je ne pense pas que le cloud gaming ait eu son moment ChatGPT. Ni Game Pass ni GeForce Now n’ont capturé l’imaginaire des opportunités que peut apporter le cloud gaming. Cette étincelle, on ne l’a pas vue encore. »

Trois plateformes

GeForce Now

IMAGE TIRÉE DU SITE NVIDIA.COM

Illustration de la plateforme GeForce Now

La plateforme infonuagique de Nvidia compte 25 millions d’abonnés et 1643 jeux. Les jeux, dont il faut être propriétaire à l’exception d’une centaine d’œuvres gratuites, peuvent être diffusés sur toutes les plateformes, du téléphone cellulaire à certaines télévisions intelligentes. L’offre gratuite ne permet que des sessions d’une heure par jour et place le joueur dans une file d’attente qui peut varier de quelques minutes à une demi-heure. Le plan Ultimate, à 24,99 $ par mois, permet des sessions de huit heures à des résolutions maximales.

Xbox Cloud Gaming

PHOTO TIRÉE DU SITE MICROSOFT.COM

Illustration de la plateforme Xbox Cloud Gaming

Les dernières statistiques révélées par Microsoft concernant son service d’abonnement Xbox Game Pass datent de janvier 2022, alors que l’on comptait 25 millions d’abonnés payant au moins 12,99 $ par mois. Ces joueurs ont accès à une bibliothèque de quelque 100 jeux, modifiée chaque mois, qu’ils peuvent télécharger. Avec la version Ultimate, à 18,99 $, la plupart de ces jeux peuvent être diffusés directement en infonuagique avec Xbox Cloud Gaming, toujours en version bêta depuis septembre 2020.

PS Plus Premium

IMAGE TIRÉE DU SITE PLAYSTATION.COM

Illustration de la plateforme PS Plus Premium

PlayStation offre trois formules d’abonnement, dont la plus coûteuse, PS Plus Premium, donne pour 21,99 $ par mois un accès à des jeux infonuagiques. L’essentiel de l’offre consiste en quelque 700 jeux des consoles des générations précédentes, remontant jusqu’à la PS2. À la mi-juin, on a en outre appris que Sony s’apprêterait à offrir plus de jeux récents sur sa PS5.