Entrevue avec Raphaël Weyland, historien chez Ubisoft, qui a guidé l’élaboration d’Assassin’s Creed Mirage.

La Presse : Une des vedettes d’Assassin’s Creed Mirage, c’est la reconstitution historique. La franchise en a fait sa marque distinctive, mais ce dernier épisode semble atteindre un sommet.

Raphaël Weyland : Ça me fait vraiment plaisir d’entendre ça, parce que ça faisait partie de nos objectifs. Je crois qu’il y avait une corde encore plus sensible avec celui-là et ça me fait d’autant plus plaisir d’entendre ce commentaire.

LP : On sent beaucoup d’amour de l’équipe pour ce Bagdad du IXsiècle qu’on connaît mal. Que représente pour vous ce pan d’histoire ?

RW : Quand j’ai appris que ça allait être ça, le sujet, j’étais emballé et je suis encore emballé jusqu’à aujourd’hui. Moi, ça fait deux ans maintenant que j’en mange, Mirage, et j’ai encore de la passion quand j’en parle. Il y a quelque chose qui vient me toucher au plus profond de mon âme, au plus profond de mon être. C’est bête à dire, mais j’ai toujours aimé dans l’histoire les périodes qui intéressent moins les autres. Quand je faisais de l’histoire romaine, je ne m’intéressais pas à Jules César, je m’intéressais aux personnages moins mis de l’avant. Quand je faisais de l’histoire grecque, ce n’était pas pour Périclès, c’était quelque chose d’autre.

LP : En quoi trouvez-vous cette époque remarquable ?

RW : Ce Moyen-Orient était un carrefour entre les cultures, la rencontre de gens complètement différents qui trouvent des choses à se dire et qui trouvent des choses à se partager. C’est un des premiers moments où on a vraiment la possibilité d’avoir des voyageurs de tous les continents, de l’Atlantique au Pacifique.

Est-ce que vous connaissez les histoires de Kalila wa-Dimna ? Ce sont des fables animalières, indiennes à l’origine et transcrites à Bagdad au IXe siècle, en y mélangeant des fables grecques, leur ajoutant une « twist » arabe et persane. Et que deviennent-elles ? L’une des inspirations au XVIIe siècle de Jean de La Fontaine, il l’écrit lui-même en introduction.

Quand je lis les histoires de Jean de La Fontaine à mon fils, le soir à Montréal au 21siècle, il y a un peu de Bagdad avec moi.

LP : À quel point la reconstitution historique est-elle exacte ?

RW : Je crois qu’il n’y a pas de meilleure reconstitution de la ville de Bagdad que celle-là. OK, il y a des reconstitutions de certaines parties, mais quant à l’ambiance générale, la possibilité de se sentir à l’intérieur de la ville, je crois qu’on a fait le maximum.

Mais ça reste un jeu, nous avons pris quelques libertés. Les murs de la ville ronde sont plus élevés que dans la réalité, on a mis des montagnes près de Bagdad, là où il n’y en a pas. Ce n’est pas exact historiquement, mais ce n’est pas un gros sacrifice si ça permet de mieux raconter l’histoire.

LP : Évidemment, le cœur de l’histoire, ceux qu’on ne voit pas contre l’Ordre des Anciens, est une invention. À quel point est-elle plausible ?

RW : On est ici en plein jeu. Il n’y a jamais eu d’Ordre des Anciens qui dirige le monde de toute éternité. Il y a quand même quelque chose dans cette lutte entre l’Ordre des Anciens qui représente une certaine vision de la vie, une certaine philosophie de l’Histoire basée sur le besoin d’ordre et de domination, de cette conception qu’il ne faut pas laisser de liberté aux humains parce qu’ils sont foncièrement mauvais. Alors que les Assassins représentent une vision plus lumineuse, peut-être plus naïve, où il faut de la justice, que les gens puissent faire leurs choix.

Quand bien même on a inventé ces deux ordres, ils représentent quelque chose de très profond.

Pour des considérations de concision et de lisibilité, cette entrevue a été éditée.

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