(San Francisco) Pendant des années, le téléphone de Ben Black a dérangé sa famille. C’était le seul appareil Android dans un groupe de messagerie familial qui comptait huit iPhone. À cause de lui, les vidéos et les photos arrivaient en basse résolution, et il y avait des bulles de texte vertes au milieu de bulles bleues.

Mais une nouvelle application appelée Beeper Mini lui a permis de changer tout cela.

M. Black, 25 ans, a utilisé l’application pour créer un compte pour le service de messagerie d’Apple, iMessage, avec son numéro de téléphone Google Pixel. Pour la première fois, tous les messages échangés par la famille étaient accompagnés d’une bulle bleue, et les membres pouvaient utiliser des fonctionnalités telles que les émojis et les animations.

Depuis son introduction le 5 décembre, Beeper Mini est rapidement devenue un casse-tête et un problème antitrust potentiel pour Apple. L’application a fait une brèche dans le système de messagerie d’Apple, tandis que ses détracteurs affirment qu’elle a démontré la façon dont Apple intimide ses concurrents potentiels.

Apple a été pris par surprise lorsque Beeper Mini a permis aux appareils Android d’accéder à son service moderne, réservé à l’iPhone. Moins d’une semaine après le lancement de Beeper Mini, Apple a bloqué l’application en modifiant son système iMessage. Elle a expliqué que l’application présentait un risque pour la sécurité et la vie privée.

La réaction d’Apple a déclenché un véritable jeu du tac au tac : Beeper Mini a trouvé d’autres moyens de fonctionner, et Apple a trouvé de nouvelles façons de bloquer l’application en réponse.

Ce duel a soulevé des questions à Washington, qui se demande si Apple n’a pas utilisé sa position dominante sur le marché d’iMessage pour bloquer la concurrence et obliger les consommateurs à dépenser plus pour leurs iPhone que pour d’autres produits moins chers.

Le ministère de la Justice s’est intéressé à l’affaire. Beeper Mini a rencontré les avocats antitrust du Ministère le 12 décembre, ont déclaré deux personnes au courant de la réunion. Eric Migicovsky, cofondateur de la société mère de l’application, Beeper, a refusé de commenter la réunion, mais le Ministère est au milieu d’une enquête de quatre ans sur le comportement anticoncurrentiel d’Apple.

La Federal Trade Commission a déclaré dans un billet de blogue jeudi qu’elle examinerait de près les acteurs « dominants » qui « utilisent la protection de la vie privée et la sécurité comme justifications pour empêcher l’interopérabilité » entre les services. L’article ne cite aucune entreprise.

La bataille a également attiré l’attention de la sous-commission antitrust du Comité judiciaire du Sénat. La direction de la commission – les sénateurs Amy Klobuchar (D-Minnesota) et Mike Lee (R-Utah) – a écrit une lettre au ministère de la Justice pour lui faire part de ses inquiétudes quant à l’étouffement de la concurrence par Apple.

Apple a refusé de commenter cette lettre.

PHOTO BEEPER MINI, FOURNIE PAR THE NEW YORK TIMES

Capture d’écran de l’application Beeper Mini

Les questions émanant de Washington touchent au cœur de la concurrence actuelle dans le domaine des téléphones intelligents. Les fabricants rivaux attribuent à iMessage le mérite d’avoir aidé Apple à étendre sa part de marché aux États-Unis à plus de 50 % des téléphones intelligents vendus, contre 41 % en 2018, selon Counterpoint Research, un cabinet de technologie.

Protéger iMessage est une stratégie vieille de dix ans chez Apple. En 2013, Craig Federighi, responsable des logiciels chez Apple, s’est opposé à ce qu’iMessage soit utilisable sur les appareils des concurrents, car cela « éliminerait un obstacle pour les familles utilisant l’iPhone qui donnent à leurs enfants des téléphones Android », selon des courriels publiés lors du procès entre l’entreprise et Epic Games, créateur de Fortnite.

Tim Cook, PDG d’Apple, a résisté aux appels à changer cette position. L’année dernière, lors d’une conférence, il a déclaré à un propriétaire d’iPhone que la solution aux messages textuels verts consistait à acheter des iPhone pour les amis et les membres de la famille.

Beeper a apporté une approche différente à la messagerie. M. Migicovsky a créé l’entreprise en 2020 pour mettre au point une application de messagerie unique capable d’envoyer des textes à travers plusieurs services, dont WhatsApp et Signal.

M. Migicovsky a réussi à intégrer la plupart des services de messagerie, à l’exception d’iMessage. Contrairement à ses homologues, Apple ne proposait pas d’application web, ce qui rendait difficile la connexion avec son service. La seule façon pour Beeper d’intégrer iMessage était d’acheminer les messages via des ordinateurs Mac, puis vers un iPhone. Ce processus retardait les messages et les rendait moins sûrs.

Alors que Beeper se débattait avec iMessage, un adolescent de Bethlehem, en Pennsylvanie, a trouvé une autre solution. James Gill, un passionné d’informatique de 16 ans, s’est fixé comme objectif personnel de comprendre le fonctionnement d’iMessage. Il a utilisé un logiciel pour décrypter ses iMessage et a déterminé qu’Apple utilisait son système de notification poussée – le même que celui qui délivre les alertes d’actualité – pour faire transiter les messages entre les appareils.

« Ce n’était pas une idée de génie », a déclaré M. Gill, élève de l’école secondaire Saucon Valley. « Je me suis contenté de creuser la question pendant longtemps. »

En juin, M. Gill a publié ses conclusions sur GitHub, une plateforme logicielle où les programmeurs partagent leur code. Lorsque M. Migicovsky a vu le message, il a pensé qu’il pourrait aider Beeper à résoudre son problème d’iMessage. Il a proposé à M. Gill un emploi rémunéré à 100 $ de l’heure, ce qui représentait une augmentation considérable par rapport aux 11 $ de l’heure que le jeune homme gagnait en tant que caissier chez McDonald’s.

Le travail s’est avéré plus complexe que MM. Migicovsky et Gill ne l’avaient prévu. Depuis la sortie de Beeper Mini ce mois-ci, Apple a modifié iMessage environ trois fois, explique M. Migicovsky.

Chaque modification apportée par Apple a nécessité un ajustement de la part de Beeper. Sa dernière solution consiste à acheminer les informations d’enregistrement aux utilisateurs de Beeper Mini par l’intermédiaire de leur ordinateur Mac personnel.

« Pour le bloquer complètement, il faudra trouver un moyen d’exiger un numéro de série de l’iPhone, a déclaré M. Gill. Beeper trouvera toujours une solution de contournement. »

Une porte-parole d’Apple a déclaré que la société continuerait à mettre à jour iMessage parce qu’elle ne pouvait pas vérifier que Beeper gardait ses messages cryptés. « Ces techniques présentent des risques importants pour la sécurité et la vie privée des utilisateurs, notamment le risque d’exposition des métadonnées et la possibilité d’envoyer des messages indésirables, des pourriels et des attaques d’hameçonnage », a-t-elle déclaré dans un communiqué.

Cet article a d’abord été publié dans le New York Times.

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