Sur la scène du Théâtre du Bic, antre de la création théâtrale du Bas-du-Fleuve et résidence officielle de la compagnie des Gens d'en bas, se déploie tout l'été un vrai petit chef-d'oeuvre. Avec Pierre-Luc à Isaac à Jos, le Madelinot Cédric Landry prouve qu'il est l'un des auteurs les plus doués de sa génération, toutes catégories et régions confondues. Comme quoi l'exode montréalais n'est pas un passage obligé pour faire du bon théâtre.

«D'habitude, je n'aime pas le théâtre. Mais ta pièce est vraiment superbe», confie un spectateur à Cédric Landry, à la fin de Pierre-Luc à Isaac à Jos. Le propos de la pièce est à la fois simple et universel: un jeune artiste exilé en France rentre chez lui et retrouve son père et un copain pêcheurs. Partis tous les trois en mer, l'artiste affronte le jugement de son père qui lui reproche d'avoir décidé de partir pour faire des «barbeaux» inutiles en ville.

En filigrane, il y a aussi les préjugés du paternel à l'endroit des «étrangers» qui envahissent l'île, et dont on ne connaît pas les ancêtres. Mais aussi beaucoup de tendresse et une démonstration que le fossé entre la ville et la région est une question complexe qui ne se réglera pas en criant «Bouchard-Taylor».

Impeccablement justes, les trois comédiens (Reynald Robinson, Hubert Lemire et Yves Bélanger) livrent ce texte riche et actuel qui traite de relation père-fils, de l'exode des jeunes cerveaux et des rapports humains en région. Une pièce que Cédric Landry a mis quatre ans à peaufiner.

«C'est ma neuvième version», confie le jeune homme de théâtre qui a quitté ses Îles-de-la-Madeleine natales pour étudier à Québec, avant de s'installer à Rimouski.

Comme beaucoup de ses amis et congénères, Cédric Landry a décidé de partir des Îles après ses études secondaires. Écrire Pierre-Luc à Isaac à Jos était évidemment une manière de parler de cette expérience, qui est celle de plusieurs urbains d'adoption. Mais cette histoire qu'il a située sur un bateau de pêche lui a aussi permis d'aborder bien d'autres préoccupations sociales.

«Ma pièce parle aussi de l'envahissement des Îles par le tourisme. Bien sûr, c'est quelque chose de positif pour la région. Mais en revanche, plusieurs jeunes qui souhaiteraient revenir n'ont pas les moyens d'acheter une maison, parce que les prix ont tellement grimpé.»

Jouer songé

Refusé au programme de jeu de l'École nationale de théâtre, Cédric Landry a pris la plume surtout pour combler son besoin de jouer. «J'écrivais des pièces qui étaient présentées en théâtre d'été aux Îles-de-la-Madeleine», raconte Landry qui, lors de notre entretien au Bic, arrivait justement des Îles. La semaine précédente s'y tenait la première de Recherchés, une autre de ses pièces.

«Quand j'écrivais pour le théâtre d'été, je sentais la pression de faire rire les gens qui ne veulent pas se casser la tête, parce qu'ils sont en vacances.»

Le directeur artistique du Théâtre du Bic, Eudore Belzile, rappelle que son théâtre est le seul à ne pas faire relâche pendant l'été. Ce qui veut dire qu'au Bic, le mandat ne change pas au retour des beaux jours pour plaire à une clientèle estivale qui s'attend à rire gras et voir jouer des «vedettes».

Belzile, qui signe la mise en scène de Pierre-Luc à Isaac à Jos, se montre d'ailleurs très heureux de proposer cette année un texte d'un auteur de la région. «La moitié du Québec ne se voit pratiquement jamais représentée sur la scène et dans les grands médias. On entend plus souvent parler d'Hérouxville. C'est important d'amener cette parole-là, à travers des personnages qui ne font pas la morale. Beaucoup de jeunes viennent voir la pièce et enclenchent ensuite la discussion. Ça leur parle beaucoup, parce qu'ils sont à un âge où ils doivent faire des choix.»

Cédric Landry, lui, n'a pas de projet de quitter la mer pour le béton. Sa pièce Recherchés passera prochainement par Caraquet. À Rimouski, il continue de vivre du théâtre avec les bourses et en donnant des ateliers en parascolaire, en travaillant au programme de technique policière de Rimouski, en jouant et en écrivant. Il a également signé la mise en scène du spectacle de Boucar Diouf, D'Hiver Cité.

«Quand t'es acteur à Montréal, tu peux passer des auditions pour des pubs, des courts métrages. Tandis qu'ici, personne ne t'appelle, il n'y a pas d'agent. Par contre, si t'as l'esprit entreprenant, tu peux aller chercher de l'argent. Le Conseil des arts va t'aider.»

Quant à nous, spectateurs urbains, souhaitons que le théâtre de Cédric Landry remonte bientôt le fleuve jusqu'à Montréal.

Pierre-Luc à Isaac à Jos, de Cédric Landry, dans une mise en scène d'Eudore Belzile, jusqu'au 16 août au Théâtre du Bic.