Quelques jours après les attentats du 11 septembre 2001, Terry Cochran entendait souvent des gens traiter de «lâches» les kamikazes, et en particulier leur chef Mohammed Atta. Le qualificatif lui a rapidement paru bizarre.

«C'est sûr que ce n'était pas un héros, mais un lâche? Chose certaine, il n'avait pas hésité à se donner la mort. Ce n'est pas un comportement typique des lâches.»

À l'époque, le professeur de littérature à l'Université de Montréal travaillait sur les liens entre l'expérience littéraire et l'expérience spirituelle. Il a décidé de rediriger son projet pour s'intéresser plus particulièrement aux kamikazes. Son livre De Samson à Mohammed Atta, issu de ces réflexions, vient d'être publié.

«C'est une décision qui est presque toujours fondée sur des textes littéraires, dit M. Cochran. Les terroristes du 11 septembre avaient tous dans leurs bagages la même lettre, avec des références au Coran et des instructions comme se raser complètement le corps. Les kamikazes japonais se basaient sur le bushido, un texte du XVIIe siècle distribué à tous les garçons à l'école, qui expliquait comment un samouraï devait se comporter face à son maître, face à la mort. Pour se laisser emporter par sa foi jusqu'à se donner la mort, il faut l'imaginaire d'un monde textuel.»

D'ailleurs, la littérature dans son ensemble puise ses sources dans le domaine religieux, selon M. Cochran. «Les premiers textes étaient souvent spirituels. Et les techniques d'analyse littéraire ont évolué au fil des siècles précisément pour mieux analyser les textes religieux.»

Justement, la popularité du terrorisme-suicide dans notre ère est intimement liée à l'analyse littéraire. Ou plutôt, à la fin de la prépondérance des institutions traditionnellement chargées de cette analyse. «J'appelle cela la «protestantisation» du monde, dit M. Cochran. À partir du XVIe siècle, on a commencé à voir des groupes s'entendre entre eux sur l'interprétation des textes religieux, et rejeter les interprétations officielles. Dans l'islam, on voit beaucoup d'imams recueillir autour d'eux des fidèles qui suivent leurs recommandations à la lettre. Et maintenant, avec la montée en puissance de la blogosphère, chacun a l'impression que son opinion est aussi bonne que n'importe quelle autre.»

Or, cela mine tout l'édifice de normalisation des idées par les institutions académiques. «On peut dire ce qu'on veut à propos du conservatisme des universités, mais il reste que les idées qui s'y imposent doivent être examinées de façon critique par les pairs. Si un étudiant écrit des absurdités sur un texte, il se fera corriger, on lui expliquera qu'il faut lire les textes du XVe siècle dans le contexte de leur époque, par exemple, au lieu de les interpréter selon nos propres valeurs et connaissances. Les institutions sont en quelque sorte des guides.»

Peut-on faire un parallèle avec les jeunes filles qui pensent que l'amour ressemblera aux contes de fées? «Oui, et il faut d'ailleurs noter que très souvent, l'autorité a cherché à restreindre l'accès à la littérature pour éviter qu'elle soit mal interprétée.» Certains parents rechignent maintenant à donner de la littérature pour enfants "sexiste" à leurs filles.

Faut-il donc redevenir papiste? «Non, certainement pas, répond M. Cochran. Mais il faudra trouver des manières d'aider les individus à comprendre les textes littéraires.»

N'est-ce pas simplement une question de formation éthique? «Oui, mais il faut se souvenir que la foi est toujours une aberration du statu quo. Quand on est touché par la foi, on n'a plus besoin du jugement des autres. Si Abraham avait tué son fils, il aurait probablement été jugé pour meurtre par ses pairs. On ne peut pas expliquer la foi.»

D'ailleurs, attribuer à Dieu le sentiment religieux est en soi une interprétation. «Du point de vue laïc, c'est une intuition, pas la voix de Dieu. Kant disait que Pascal ne se rendait pas compte qu'il entendait sa propre voix quand il avait l'impression d'entendre celle de Dieu.»

L'émotion, les larmes en particulier, est étroitement liée à la piété. «Le noeud gordien liant les larmes et le sacré crée un obstacle infranchissable pour la pensée moderne», écrit M. Cochran. On ne peut s'empêcher de penser à une technique presque infaillible pour mettre un terme à une discussion conjugale corsée: éclater en sanglots. Vraiment, les kamikazes ont des liens surprenants avec le monde ordinaire.

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De Samson À Mohammed Atta

Terry Cochran

Fides, 220 pages, 29,95$