Pour la première fois en 17 ans, Zachary Richard lance un album en anglais qui risque de surprendre les fans américains qu'il a longtemps délaissés. Qu'à cela ne tienne, en 2009, l'artiste assume pleinement son identité multiple.

Pendant que Zachary Richard pose pour le photographe dans son studio-maison, Claude Thomas, sa conjointe et complice essentielle - «c'est toujours elle qui a les bonnes idées», dit Zachary -, m'explique le grand défi que représente la rentrée américaine du chanteur après une si longue absence.

Le dernier album anglais de Zachary, Snake Bite Love, est sorti en 1992, et tout a changé depuis. L'industrie du disque est en chute libre et même si au Québec la «vieille méthode» fonctionne encore pour Musicor, le couple doit assumer toutes les responsabilités d'une petite compagnie de disques indépendante aux États-Unis.

Mais Zachary a changé lui aussi. Radicalement. Last Kiss n'a plus grand-chose à voir avec le swamp-rock, le zydeco et l'accordéon endiablé que les Américains ont connus. À leur tour de faire connaissance avec l'orfèvre de la chanson qui nous a donné coup sur coup Cap enragé, Coeur fidèle et Lumière dans le noir.

Claude Thomas me dit qu'elle a cherché l'élément de surprise, l'étincelle qui ferait en sorte que le retour de Zachary dans son pays ne passe pas inaperçu. L'occasion s'est présentée en août 2008 quand Céline Dion l'a invité à chanter avec elle sur les plaines d'Abraham.

«Quand tu chantes avec Céline Dion, ça donne envie de rechanter avec Céline Dion, tout simplement, dit Zachary Richard. L'album était fini, quasiment mixé, il n'y avait pas de place pour une autre chanson. Mais ce soir-là, sur les Plaines, dans l'émotion du moment, j'ai entendu une petite voix qui me disait: «Si tu veux faire cette chanson, voici celle avec qui tu la feras».»

La chanson en question, Acadian Driftwood, a été écrite pour The Band par Robbie Robertson, dont Zachary est un fan fini. En fait, c'est d'abord The Weight, une chanson beaucoup plus connue de The Band, qu'il voulait reprendre. Il a soumis les deux à Céline Dion et René Angélil et la chanteuse a choisi Acadian Driftwood. L'enregistrement a eu lieu le 2 mars au studio Piccolo de Montréal avec le réalisateur Larry Klein (Joni Mitchell, Madeleine Peyroux, Melody Gardot...).

«C'est clair qu'un duo avec Céline Dion va attirer l'attention du public américain, reconnaît Zachary. Mais si c'était juste une question d'exploitation commerciale, ça n'aurait pas marché, ni de mon côté ni du sien. Je ne sentais pas le besoin de faire un duo avec Mariah Carey ou Alison Krauss, ç'aurait été trop artificiel. Mais l'occasion s'est présentée et, comme la plupart du temps, j'ai agi sans trop réfléchir, et le résultat, d'après moi, est très satisfaisant. Cette chanson parle du Grand Dérangement, Céline est francophone, et je voulais raconter cette histoire aux Américains qui l'ignorent. Pas pour revendiquer une identité ethnique, ç'aurait pu être une histoire de Noirs ou de Juifs, mais parce que ça parle de courage et de compassion et que ça nous permet, à Céline et à moi, d'aller au-delà de la chanson populaire pour raconter une histoire aussi valable aujourd'hui qu'en 1755.»

L'homme des cycles

Sur disque en tout cas, Zachary Richard a toujours fonctionné par cycles: une période en français suivie d'une autre en anglais puis un retour au français sans que les deux répertoires ne se croisent vraiment ailleurs que sur scène. À l'écoute de Last Kiss, croit-il, ses fans américains ne seront pas plus étonnés que l'était son public québécois quand il est revenu avec Cap enragé, en 1996, après l'avoir laissé sur L'arbre est dans ses feuilles 15 ans auparavant.

Lumière dans le noir, qu'il a lancé en 2007, devait être un disque bilingue. «Je revendique cette identité bilingue, biculturelle, je suis complètement à l'aise dans les deux cultures, les deux langues et je voulais un album qui représente cette réalité, se souvient-il. Mais par souci de cohésion artistique, j'ai fini par avoir un album en français. Sauf qu'à la fin, j'avais trois chansons en anglais et j'étais déjà en train de faire mon nouvel album, Last Kiss

Le Zachary Richard de 2009 n'est plus l'artiste qui avait peur de se faire lancer des tomates quand il est venu chanter en anglais au Club Soda en 1993 - une crainte injustifiée. Une pile d'essais et de livres d'histoire à l'appui, il me parle d'abondance des 13 ou 14 millions de francophones hors Québec qui vivent en milieu minoritaire en terre d'Amérique. Puis il enchaîne sur sa perception du Québec qui a changé, un Québec qui n'a pas non plus la même image de lui-même qu'en 1993: «Félix Leclerc, Gilles Vigneault, Robert Charlebois, Michel Rivard et les autres occupent une place importante, mais quand on parle de réussite, on parle de Céline Dion, du Cirque du Soleil et de Bombardier, ceux qui ont su exporter, vendre leur produit chez les Anglo-Américains, c'est aussi ça la fierté du Québec. Je ne veux pas entrer dans l'éternel débat souverainiste, ça ne me regarde pas même si ça m'intéresse. Par contre, je peux parler haut et fort de la situation des francophones en milieu minoritaire et je suis convaincu que cet album-là, même en langue anglaise, sera bénéfique pour la francophonie nord-américaine. Je chante en anglais, mais je revendique mon identité franco-nord-américaine en utilisant des mots comme Bois d'arc et Delacroix, ou encore avec une chanson entièrement en français (Au bord de Lac Bijou, dans la version qu'on a connue sur Cap enragé).»

Une question de vérité

Last Kiss est un album «sudiste», dit Zachary, qui se décrit comme un auteur régionaliste. Mais sa parenté avec les trois derniers albums français, on la trouve d'abord dans sa musique organique, jamais appuyée, qui crée de riches ambiances.

«Tu as dit le mot: ambiance, répond Zachary. Il faut que ça paraisse simple et ça ne l'est pas. Ce n'est pas juste un gars avec une guitare, il y a des richesses sonores là-dedans, et c'est quelque chose que j'ai compris avec Daniel Lanois. On enregistre de façon naturelle, on n'ajoute pas beaucoup d'effets, c'est une question de vérité par rapport à ce que je suis et comment je me définis en tant que musicien.»

Last Kiss s'ouvre sur la chanson Dansé, que Zachary Richard chantait déjà à Montréal il y a 10 ans. L'album nous ramène le conteur qui s'inspire de l'histoire d'un enfant inuit (Sweet Daniel), de la relation entre Jack Kerouac et Allen Ginsberg (Fire in the Night) ou de l'exil d'un oncle qui lui était cher, parti au Texas travailler dans la marine marchande (The Ballad of C.C. Boudreaux). Cette ballade et The Levee Broke ont un ton gospel qui les rend encore plus poignantes.

«La section rythmique, les choristes, l'organiste et le coréalisateur qui participent à The Levee Broke ont tout perdu dans l'ouragan Katrina, raconte Zachary. C'est la même équipe qui a fait La promesse cassée, pourtant c'est très différent. Pour La promesse, ils répétaient des sons qu'ils avaient appris mais qu'ils ne comprenaient pas tout à fait tandis que pour The Levee Broke, on sentait une très grande émotion.»

Zachary Richard entreprendra bientôt une tournée de spectacles, d'abord dans son coin de pays en commençant par le Jazz and Heritage Festival de La Nouvelle-Orléans le 25 avril. À l'été, il devrait chanter au Festival de jazz de Montréal et faire une tournée des festivals en France avant de s'attaquer au reste des États-Unis à l'automne. Partout, il chantera en anglais et en français.

«J'ai une liste de 18 chansons et pour un public francophone, je vais peut-être en changer deux ou trois, pas plus, dit-il. À La Nouvelle-Orléans, je vais commencer avec Petit Codiac. C'est important pour moi, je suis un Franco-Américain qui chante dans les deux langues et je vais le faire partout. Il y a des chansons magnifiques dont je suis très fier, les Cap enragé, Lac Bijou, Jean Batailleur et Petit Codiac, qui sont en français. Mon public aux États-Unis serait déçu si je ne chantais pas en français.»