Vu sous un angle strictement mathématique, Chroniques, qui regroupe trois pièces écrites par Emmanuel Schwartz, n'est pas un grand succès. Des quatre heures passées à La Chapelle (entractes compris), on en retient une: celle passée avec Bérénice et ses soeurs imaginaires. C'est trop peu pour racheter cette longue soirée, mais tout de même assez pour laisser croire que, derrière ce comédien talentueux, qui s'illustre notamment chez Wajdi Mouawad, sommeille un véritable auteur.

Cette conclusion, on ne la tire pas d'emblée de «Maxquialesyeuxsortisducoeur», le premier volet de Chroniques, mal servi par la mise en scène échevelée et surchargée de son auteur. Il y a tellement de matière qui s'accumule sur la scène que les comédiens finissent par s'y empêtrer. L'environnement sonore est si envahissant qu'il entre en conflit avec le jeu des comédiens, par ailleurs constamment bousculés et souillés dans ce spectacle. L'élan poétique et les quelques très bonnes idées s'y trouvent noyées dans un désordre ambitieux, mais mal contrôlé.

Jérémie Niel, qui dirige «JeneconnaispasClichymaisjem'ensuisfaitbeaucoupdeclichés», n'a pas la main plus heureuse, même s'il fait le choix opposé. Sa mise en scène est dépouillée, axée sur l'atmosphère (notamment en raison du traitement des sons), mais aussi lente et lourde. Dur à encaisser en conclusion d'un si long programme et même si le comédien Marc Beaupré, qui campe aussi Max en début de soirée, offre une performance impressionnante dans le rôle d'un Québécois verbomoteur venu boire sur la tombe de son idole, Koltès.

Intercalé entre les excès de l'un et le dénuement de l'autre se trouve toutefois une histoire dotée d'un coeur battant: celle de Bérénice (Ève Pressault, vraiment excellente). Non seulement la metteure en scène Alice Ronfard fait-elle un usage éloquent d'artifices simples (ombres et vidéo pour illustrer le dédoublement de personnalité), mais elle a également adroitement dirigé sa comédienne principale. Si bien qu'elle a fait d'une pierre deux coups: elle trouve un ton qui donne vie à cette Bérénice et met en valeur le texte. Là, on touche quelque chose.

Si l'écriture est un thème récurrent dans Chroniques, c'est qu'Emmanuel Schwartz cherche précisément à faire un théâtre qui s'appuie sur la langue. Avant de faire un théâtre d'action et de dialogue, il fait un théâtre narré, intéressé par les questions d'identité et la poésie. Dans «Max...», par exemple, il s'est visiblement intéressé à l'effet dramatique créé par le choc des niveaux de langages. De sa plume naissent par ailleurs des phrases d'une grande beauté et chargées de sens, qui illuminent le spectacle malgré le désordre ou la lourdeur.

Est-ce suffisant pour en faire un auteur dramatique? Peut-être, peut-être pas. Mais c'est un talent essentiel si on veut écrire, pour la scène ou non.

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Chroniques d'Emmanuel Schwartz, au Théâtre La Chapelle, jusqu'au 10 octobre.