Si on oublie la poésie spatiale, le mauvais français, les 35 millions qui auraient pu approvisionner en eau la moitié d'un continent et l'empreinte écologique aussi grosse qu'une patte de yéti au milieu d'un gâteau, l'aventure de Guy Laliberté en espace a quelque chose d'impressionnant.

Quand j'ai vu la fusée presque identique à la fusée de Tintin dans On a marché sur la Lune léviter lentement de terre en crachant des tonnes de carbone, j'ai eu un moment de réelle émotion. L'espace d'un instant, je me suis mise dans les souliers, dans la combinaison et sous la bulle de scaphandrier de Guy Laliberté et j'ai eu peur. La peur de ma vie. L'espace d'un instant, j'ai mesuré le cran, le courage, la témérité et la foi, l'immense et folle foi que cela prenait pour tenter une telle aventure.

 

Moi, il faudrait me payer (au moins 35 millions) pour que j'accepte la seule idée d'être enfermée même cinq minutes dans ce suppositoire géant nommé Soyouz. Et après cela, il faudrait m'assommer pour m'empêcher d'arracher la porte et de m'enfuir au moment du décollage. Autant dire que je ne tiendrais pas une minute dans l'espace. Tenir 12 jours comme s'apprête à le faire Guy Laliberté me tuerait à coup sûr.

C'est la première chose qui m'épate dans l'aventure du premier clown de l'espace. Il n'est pas parti en orbite pour une heure ou même un week-end. Il est parti pour une éternité!

Ce qui m'épate encore davantage, c'est que voilà un homme dont la vie est facile à l'extrême. Oui, bien sûr, comme tout homme d'affaires qui se respecte, Guy Laliberté doit bien avoir quelques tracas au bureau, mais il a les moyens de se payer les services d'avocats, de conseillers et de négociateurs de première qualité qui peuvent faire toutes les sales jobs pour lui et le laisser s'amuser en paix. Pourtant, au lieu de s'enfoncer dans le bain chaud et moussant de la facilité, il a préféré aller souffrir pendant six mois dans une cité froide et pourrie où il a été astreint à un entraînement physique des plus exigeants, à un régime végétarien draconien et à une discipline de fer soviétique. Pendant de longues semaines, il a été séparé de sa famille, de ses amis, de son yacht et de son jet privé, tout cela pour faire du vélo stationnaire et se shooter au jus de carottes.

Quand le jour J est arrivé, je me suis demandé s'il n'allait pas déclarer forfait devant l'ampleur terrifiante de l'aventure. Mais non! S'il avait peur, rien n'y paraissait. Après avoir chanté en choeur avec ses compagnons de l'espace le refrain du grand classique Mamy Blue, il s'est rapidement engouffré dans sa prison sans faire le clown ni cabotiner, avec le professionnalisme d'un authentique astronaute. On l'a même vu saluer la Terre avec aplomb plusieurs minutes après le décollage. Chapeau! Richard Branson (le millionnaire qui fut le premier à traverser l'Atlantique en montgolfière) peut manger ses bas.

Pour ce qui est de la lecture du poème de Yann Martel et du mégaspectacle du 9 octobre qui, au signal de Laliberté, se déploiera dans 14 villes et réunira virtuellement U2, Garou, Shakira et plusieurs autres, je commence à trouver que l'idée n'est pas si folle. Après tout, Laliberté est sans doute le premier et le dernier touriste de l'espace qui se soucie de la poésie. Le seul aussi qui profite de son forfait en orbite pour organiser un mégaconcert à la Bob Geldof. Je souhaite que ce concert connaisse un succès éclatant et aide au rayonnement international de la Fondation One Drop. Je me pose toutefois une question: puisque la mission spatiale est commanditée par une fondation à but non lucratif, est-ce que ça veut dire que ce sont nos impôts qui défraieront une partie des 35 millions de l'opération? Si c'est le cas, autant dire que le clown de l'espace doit bien rire de nous.

Pour joindre notre chroniqueuse: npetrows@lapresse.ca