Les diffusions en direct, dans 41 cinémas à travers le monde, des matinées du Metropolitan de New York permettent à des millions de personnes de voir un opéra comme il n'est pas possible de le faire autrement.

Pour ce qui concerne la nouvelle production de Carmen, retransmise samedi dernier, non seulement les auditeurs à la radio étaient-ils, par la force des choses, privés de l'image, mais une faible partie seulement des 4000 spectateurs présents au «Met» pouvaient se retrouver au coeur même de l'action, pour ainsi dire sur scène, parmi les personnages, comme nous l'étions au Cineplex Odeon Quartier Latin où Radio-Canada avait organisé une séance spéciale marquant les débuts de Yannick Nézet-Séguin au plus grand théâtre lyrique du monde.

 

Sur l'écran super-géant, les gros plans ne laissaient rien à l'imagination. De toutes les interprètes de Carmen que j'ai vues et entendues dans ma vie, la jeune et très séduisante mezzo lettone Elina Garanca, 33 ans, est certainement la plus vraie, si vraie même qu'on en oublie la voix, solide et belle de l'aigu jusqu'au grave.

La Carmen de Garanca est d'abord une femme extrêmement désirable qui joue de ses charmes avec l'art d'une diablesse, qui rend fous tous les hommes qui l'approchent (... dont elle s'approche serait plus juste) et qui sème le trouble partout où elle passe. Quels yeux!... En gros plans, des yeux qui expriment, avec une égale force, la méfiance, la moquerie, le mépris, la provocation, l'indifférence, la fierté, la colère, la joie, la haine... et parfois l'amour.

Dans la mise en scène très vivante de Richard Eyre, cette Carmen prend des attitudes que la bienséance m'interdit de décrire. En même temps, elle danse avec une frénésie dont les chanteuses sont habituellement incapables. Et son français est presque parfait. Que peut-on souhaiter de plus?

Toute la distribution samedi était de premier plan. Don José est un être faible qui adore Carmen mais lui préfère tantôt son drapeau, tantôt sa mère. La gitane le rejette finalement pour courir dans les bras du torero Escamillo. Mais José aura le dernier mot: il se bat avec elle, lui arrache sa mantille et la poignarde.

Roberto Alagna joue et chante le personnage avec la même intensité et le même désespoir. L'Escamillo annoncé, le Polonais Mariusz Kwiecien, fut remplacé à trois heures d'avis par le Néo-Zélandais Teddy Tahu Rhodes, beau et grand garçon et baryton ayant le grave d'une basse. Micaëla, la chaste amoureuse de Don José, s'affirme ici un peu plus que d'habitude, grâce à la voix et la présence de Barbara Frittoli.

Les nouveaux décors stylisés sont fort beaux, de même que les costumes. Cette production, comme on sait, a été offerte au «Met» par la mécène montréalaise Jacqueline Desmarais.

Dans la fosse, Nézet-Séguin a dirigé orchestre, choeur et chanteurs avec l'énergie et la musicalité d'un maître. Le son était bon en général, parfois un peu métallique. La mise en scène suivait la meilleure tradition, à une exception près: ici, les cigarières travaillent dans un sous-sol et leur sortie à l'air libre évoque celle des prisonniers dans Fidelio.

Autre exclusivité de ces retransmissions: les entractes nous montrent les machinistes installant le décor de l'acte suivant, la soprano Renée Fleming interviewant les interprètes, les spectateurs consultant le programme et l'intérieur du «Met» de différents points de vue.