Dany Laferrière dit de Fabienne Colas qu'elle a mis cinq ans à faire ici ce que la plupart des Haïtiens mettent parfois 30 ans à accomplir. Instigatrice du Festival du film black de Montréal, elle a aussi créé le festival Haïti en folie. Mais depuis le séisme, l'ex-Miss Haïti milite ardemment pour que le gouvernement Harper accélère le processus de réunification des familles. Et elle ne rendra pas les armes de sitôt.

Fabienne Colas était chez elle à Brossard devant son ordinateur. Elle terminait la paperasse pour le deuxième Festival du film québécois en Haïti, prévu pour mars 2010, lorsque le téléphone a sonné. C'était son ami, l'ex-journaliste Réal Barnabé, qui lui demandait si elle était au courant du violent séisme qui venait de secouer son pays. Sur le coup, Fabienne Colas n'a pas saisi l'ampleur du drame. Mais en allumant CNN qui diffusait l'image incroyable du Palais présidentiel écroulé, elle a tout compris. Pendant toute la soirée, elle a cherché à joindre au téléphone son père, le photographe Ulric Colas Joseph, sa mère Jocelyne Mars, fonctionnaire à la retraite, divorcée de son père, et sa petite soeur Joyce Fuerza. Sans succès. Entre-temps, elle a accepté que les caméras de CBC s'installent chez elle et témoignent d'une situation qu'elle partageait avec les 100 000 Haïtiens de Montréal et qui se résumait à des circuits morts et à des téléphones qui sonnaient dans le vide ou dans des centrales réduites en poussière.

 

«Fabienne Colas est une actrice, annonce la journaliste de CBC au début de son topo, mais ce soir, elle n'est plus qu'une Haïtienne parmi tant d'autres tentant désespérément d'entrer en contact avec ses proches.»

«Ce n'était pas facile, raconte Fabienne une semaine plus tard dans un petit café haïtien en bas du Centre communautaire Na Rive. J'étais plongée dans l'inquiétude et l'angoisse. Je n'avais pas de nouvelles de mes proches; j'avais cette caméra devant moi qui filmait tout.»

À 5h du matin, elle a fini par joindre son père et avoir la confirmation que sa famille est saine et sauve.

«Plus tard, quand j'ai joint ma mère, elle n'arrêtait pas de me dire «ne t'inquiète pas, tout va bien», mais je savais très bien que sa maison avait été détruite, qu'elle dormait dans la rue et qu'elle n'avait rien à manger. Depuis, chaque nuit quand je me couche au chaud, je n'arrête pas de pleurer.»

Une fille d'action

Même si elle ne fait pas partie des porte-parole officiels de la communauté haïtienne de Montréal, Fabienne Colas est l'une des rares figures féminines qui se sont imposées pendant la crise. Toute la semaine dernière, on l'a vue faire la ronde des médias, de LCN à RDI en passant par CBC et le plateau du Montréal ce soir. Elle l'avait déjà fait lors de l'élection d'Obama. Elle l'a refait pour Haïti. Son énergie, sa télégénie, sa facilité à s'exprimer en anglais comme en français à la caméra expliquent pourquoi elle est tant sollicitée par les médias. Mais il y autre chose aussi: bien qu'elle soit issue du milieu culturel, quand Fabienne Colas s'aventure dans le champ social ou politique, elle arrive toujours bien préparée et avec un discours pertinent et pragmatique. En plus, elle ne fait pas que parler. C'est une fille d'action, énergique et impatiente, qui fait arriver les choses. Quand le ministre fédéral de l'Immigration Jason Kenney est venu à la rencontre de la communauté haïtienne de Montréal la semaine dernière, elle n'a pas hésité à l'apostropher pour lui demander d'accélérer le processus de réunification. Elle me répète son laïus en contenant mal son impatience.

«Ce qui m'a mise à terre, c'est que tout ce que le ministre avait à nous proposer, c'était le numéro d'une vieille ligne téléphonique qui existait avant le séisme. Il n'avait rien d'autre de concret à nous offrir. Je m'excuse, mais on est au Canada ici, on n'est pas dans le tiers-monde. On a l'argent et les structures pour réagir, pas dans deux ans, tout de suite! C'est une question de vie ou de mort. Il faut que Yolande James pousse sur Jean Charest et que tous ensemble, on maintienne de la pression pour assouplir les normes canadiennes et ultimement éviter d'augmenter encore le nombre de morts. Car je le répète, c'est une question de vie ou de mort.»

Le lendemain du séisme, Fabienne raconte qu'elle a appelé au bureau de Pierre Karl Péladeau pour lui suggérer d'éliminer les frais d'appels interurbains vers Haïti pour tous les abonnés de Vidéotron. La mesure a été adoptée deux jours plus tard.

De Pétionville à Montréal

Depuis ses premiers pas à Montréal en 2003, Fabienne Colas n'a cessé de prendre sa vie en main et de réorganiser sa réalité. Son parcours d'immigrante haïtienne est exemplaire, alimenté par une ambition dévorante, un opportunisme de bon aloi et une détermination que le défaitisme n'a jamais visitée. Voilà une fille qui, à 22 ans, sans parrainage et sans l'aide de quiconque, a convaincu l'immigration canadienne de lui accorder tous ses papiers pour immigrer chez nous. Pourtant, une fois les papiers obtenus, elle a tergiversé et hésité avant de s'établir à Montréal. En 2002, elle a fait l'aller-retour Montréal-Port-au-Prince à plusieurs reprises sans arriver à se brancher. Il faut dire que sa situation en Haïti était loin d'être désastreuse. Élevée dans le quartier chic de Pétionville, ayant fréquenté les collèges privés, Fabienne Colas est arrivée sur la scène publique haïtienne en 2000 à titre de Miss Haïti. Le jour de son départ pour le Miss West Indies Pageant à Saint-Martin, la femme du président Préval lui a lancé un ordre: Fabienne, rapporte-nous la couronne!

«Manque de chance, je suis arrivée troisième et j'avais peur de rentrer tant j'avais honte d'avoir déçu mon pays», raconte-t-elle en rigolant. À son retour, pourtant, les choses se placent rapidement. Elle obtient un contrat pour une pub de Sprint, qui placarde son visage dans toute la ville. Puis, un rôle dans un populaire téléroman (Pè Toma) et quelques rôles dans des films haïtiens feront d'elle, à 22 ans, une vedette locale. Assez vite pourtant, Haïti ne lui suffit plus. Elle se voit déjà à Hollywood, mais décide tout de même de faire un détour par le Québec. Elle connaît déjà la ville de Chicoutimi pour y avoir passé deux semaines dans le cadre d'un échange avec son école. Elle s'y était même fait son premier chum québécois.

En avril 2003, elle s'installe pour de bon à Montréal avec la ferme intention de préserver son accent haïtien, mais d'ajouter un accent international et un accent québécois à sa palette. Sitôt arrivée, grâce aux contacts de Réal Barnabé qu'elle a rencontré brièvement avant de partir, elle obtient un troisième rôle dans Virginie. Le contrat ne dure qu'une journée, mais il change le cours de sa vie puisque c'est sur le plateau de Virginie qu'elle rencontre un figurant du nom d'Émile Castonguay, fils du proprio d'une mythique boutique de vélos de Saint-Lambert, qui devient son conjoint. Autre rencontre déterminante, celle d'un animateur de la radio haïtienne qui lui fait prendre conscience de l'ampleur de la communauté haïtienne à Montréal et du peu d'activités culturelles qui lui sont offertes. Les Haïtiens de Montréal n'ont pas de loisirs? Qu'à cela ne tienne: elle décide de réactiver la Fondation Fabienne Colas qu'elle avait créée en Haïti et d'organiser, grâce à une petite subvention, le premier week-end du cinéma haïtien au cégep de Saint-Laurent. Trois films en trois jours. Quatre ans plus tard, le Festival international du film black de Montréal prend la relève pendant sept jours dans cinq salles, avec près d'une trentaine de films. Parallèlement, en 2007, elle crée Haïti en folie, un festival de musique et de théâtre qui se déroule en juillet, notamment au théâtre de Verdure du parc La Fontaine. Cette année, avec la venue de Manno Charlemagne, le Bob Dylan haïtien, et la présentation en créole par une troupe haïtienne des Monologues du vagin, sous le titre Pawol Chouchoun, le festival a connu un succès sans précédent tant auprès des Montréalais d'adoption que des Montréalais de souche.

«Moi, ce qui m'intéresse, c'est de mettre mon énergie au service des bonnes causes. Je ne veux pas être un porte-parole, mais je veux que ça bouge. J'ai beaucoup pleuré pour Haïti, mais je ne pense pas que les gens là-bas veulent qu'on pleure. Ils veulent qu'on trouve des solutions», conclut-elle avec aplomb.

Si Fabienne Colas est à l'image du pays qui l'a vue naître, alors tout n'est pas perdu. L'espoir est permis.