Il faut avoir l'estomac bien accroché pour se rendre jusqu'au bout de Mon corps deviendra froid. L'auteure Anne-Marie Oliver nous avait prévenus: «Ce texte est comme un serpent qui est sorti de mon ventre... Le résultat n'est pas beau, ne sent pas bon.»

Mon corps deviendra froid fait la dissection d'une famille pleine de rancoeurs et de blessures, réunie le temps d'un souper pour souligner le 10e anniversaire de la mort du père. Un homme souffrant d'une maladie mentale qui a, sans doute involontairement, marqué la vie de ses proches, avant de s'enlever la vie.

En guise de préambule, Sylvie, personnage central interprété avec beaucoup de sensibilité par Brigitte Lafleur, nous présente les comédiens qui fouleront les planches et nous prépare à cette séance de «dépeçage de poulet». Déjà, une atmosphère étrange s'installe. Pendant toute la durée de la pièce, Sylvie s'extirpe de l'histoire pour se confier à nous, ou à elle-même. Puis reprend son rôle, celui de la femme de Fernand, le fils alcoolique.

Le metteur en scène, Stéphane Allard, réussit à créer une ambiance froide et glauque sur scène. Une toute petite table de cuisine au-dessus de laquelle est suspendu un énorme lustre en fer forgé avec des couteaux en guise d'ornements. Le mur de l'arrière-scène est recouvert d'une quarantaine de fourneaux, qui sont autant de tiroirs dans la mémoire des membres de cette famille brisée.

C'est dans ce contexte que fusent les paroles crues des personnages, qui rivalisent de méchanceté, et qui replongent dans leurs souvenirs dans une tentative d'exorciser ce mal-être qui les habite. La forme du récit, construit sous forme de flash-back, est extrêmement efficace. La présence du père sur scène nous permet de revivre collectivement les épisodes douloureux vécus individuellement.

De la cruauté

Il y a beaucoup de cruauté et de violence verbale dans ce texte d'Anne-Marie Olivier, qui s'étire parfois en longueurs et en lourdeurs. On peut se demander où nous mène cet exercice de défoulement vu que les personnages ne laissent entrevoir aucun espoir de résilience. Excepté celui de Sylvie, la plus lucide d'entre tous, qui se construit une petite bulle protectrice. Et encore. Peut-on réellement se soustraire à notre appartenance familiale?

Les excès du père sont très bien illustrés. Et sont à la fois drôles et pathétiques - comme lorsqu'il décide de flatter un tigre dans un zoo pour faire plaisir à sa fille de 6 ans... et se retrouve à l'hôpital. Malgré de légères hésitations, Roger LaRue joue parfaitement le rôle de cet homme gagné par la maladie, qui multiplie les erreurs de jugement et les gestes de cruauté.

Claude Despins et Myriam Leblanc, qui interprètent les rôles des enfants (Fernand et Benoîte) autrefois complices, aujourd'hui se méprisant l'un l'autre, sont tous deux très habiles dans l'expression de leur solitude. Suzanne Champagne complète le triste tableau dans le rôle de cette femme forte qui cherche en quelque sorte à faire pardonner les dérapages de l'homme de sa vie.

Mon corps deviendra froid est de ces pièces plus thérapeutiques que divertissantes. Elle nous touche et nous bouleverse néanmoins puisque toutes les familles ont leur histoire, leur lot de drames, ou à tout le moins leurs désaccords. Et peut-être parce que nous avons tous un jour mis les mains dans cet énorme poulet à dépecer.

Mais voilà, lorsqu'on tourne le couteau dans la plaie, la blessure ne fait que s'agrandir. Arrive un moment où il faut renaître de ses cendres pour espérer un nouveau départ. Ce que semble vouloir faire Sylvie, alter ego de l'auteure. En tout cas, on le lui souhaite.

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Mon corps deviendra froid au Quat'Sous jusqu'au 27 février.