En 34 ans de carrière dans le milieu culturel, François Macerola a tout fait. L'Office national du film, Téléfilm Canada, le Cirque du Soleil. En novembre dernier, celui que plusieurs surnomment «le diplomate» a été nommé à la tête de la Société de développement des entreprises culturelles. Portrait d'un homme qui a réussi à collectionner les amis tout en gérant un milieu coupe-gorge.

En entrant dans le spectaculaire édifice Fuji au centre de Tokyo, le président du Cirque du Soleil, Daniel Lamarre, savait que la négociation d'une tournée de 18 mois de la troupe au Japon n'allait pas être chose facile. Les Japonais sont hermétiques, enchaînés à la hiérarchie, coincés dans un protocole strict. Lamarre s'attendait à ce que cette séance de négociation soit interminable et probablement peu fructueuse.

C'était sans compter le travail de celui qu'on surnommait «le diplomate» dans les couloirs du Cirque du Soleil.

Daniel Lamarre était accompagné ce jour-là de François Macerola, nouveau patron de la SODEC, qui occupait à l'époque le poste de producteur exécutif au Cirque. Macerola avait soigneusement préparé cette rencontre. Il cultivait depuis des mois ses relations avec le président de Fuji, lui apportant à chaque visite son fromage préféré, de la mimolette.

«Il savait quel genre de vin il aimait. Il savait qu'il aimait l'opéra, que c'était un golfeur. À cause du protocole, les choses auraient dû se dérouler strictement entre le président et moi. Mais François avait habilement réussi à s'imposer», raconte Daniel Lamarre.

La négo a duré des mois. Mais le Cirque l'a eue, sa tournée.

Dans le cadre de ses fonctions au Cirque - où il est resté six ans -, François Macerola pouvait négocier dans une même semaine en Angleterre, au Japon et aux États-Unis. «C'était un négociateur caméléon, résume Daniel Lamarre. Il était considéré comme un diplomate, chez nous. Je l'utilisais dans des mandats qui n'avaient rien à voir avec sa job. On disait à la blague que son bureau, c'était la cafétéria. Tout le monde voulait s'asseoir à sa table.»

En poste successivement à l'Office national du film, à Téléfilm Canada, puis au Cirque du Soleil, François Macerola, 67 ans, a lancé de petites révolutions dans un milieu réputé coupe-gorge. Pourtant, il est difficile de lui trouver des ennemis. «C'est un diplomate né», résume Serge Losique, président du Festival des films du monde. «Il a tout fait et il connaît tout le monde», ajoute la patronne de Télé-Québec, Michèle Fortin. «Il a un pif politique incroyable», dit son ancienne patronne, Sheila Copps.

L'ancienne ministre du Patrimoine se souvient comment Macerola lui a proposé, pour augmenter le budget de son organisme, de changer le mode de financement des films pour donner une prime à la performance en salle. «On voulait financer des films qui seraient vus. Et ainsi, on a pu demander plus d'argent.» Téléfilm a eu 50 millions de plus par an. Pour un ministre, raconte Mme Copps, il valait mieux avoir Francois Macerola comme ami que comme ennemi. «Il était très bon pour créer de la pression publique.»

Même les gens qu'on rangerait a priori dans la catégorie des opposants sont souvent louangeurs. À titre de président de Téléfilm Canada, François Macerola avait refusé de financer 15 février 1839, l'opus de Falardeau sur le chevalier De Lorimier. Falardeau s'était insurgé, avait engagé un duel flamboyant avec Macerola.

«Je n'ai aucun ressentiment face à lui», dit Bernardette Payeur, productrice des films de feu Falardeau, qui salue sa nomination à la SODEC. «Il a une très grande expérience et je crois en l'expérience.»

D'ailleurs, quelques mois après l'algarade très publique, Macerola avait rencontré Pierre Falardeau sur l'avenue du Mont-Royal. Le cinéaste lui avait proposé d'aller prendre une bière pour oublier la controverse. «On était sortis de là un peu chauds. Et on était redevenus amis», raconte François Macerola.

Dans ce concert d'éloges, on trouve tout de même quelques fausses notes. «Il n'est que politique. C'est une personne d'omerta, de réseaux», dit une source influente dans le milieu de la culture. «C'est M. Teflon. Il n'est jamais mêlé à rien. Il ne voit jamais rien», renchérit une autre.

Sa brillante carrière masque aussi une importante zone d'ombre. Elle tient en cinq lettres: Cinar. En 1989, Claude Robinson a présenté à Macerola, qui travaillait à l'époque chez SNC-Lavalin, son projet Robinson Curiosité. Macerola avait été emballé, raconte Robinson dans son témoignage devant les tribunaux, et avait accepté de devenir son producteur. François Macerola nie la version de Robinson. «Je lui ai peut-être dit: je vais essayer de te trouver quelqu'un.»

Néanmoins, lorsque, cinq ans plus tard, Claude Robinson voit son oeuvre plagiée à la télé, il appelle François Macerola, devenu président de Téléfilm Canada. Macerola lui conseille d'envoyer des mises en demeure à Cinar. Encore là, le nouveau président de la SODEC a peine à se souvenir de cet épisode. «C'est peut-être le cas.»

Puis, lorsque les enquêtes criminelles commencent, une boîte de documents originaux de Robinson Curiosité disparaît de chez Téléfim pour se retrouver à la Cinémathèque. Un mémo obtenu par Robinson montre qu'un employé de Téléfilm a informé une avocate de Cinar que son entreprise faisait l'objet d'une enquête criminelle. Et la haute direction est dans une position délicate: l'un des prête-noms utilisés par Cinar était Thomas LaPierre, fils du président du conseil d'administration de Téléfilm, Laurier LaPierre.

C'est manifeste, les questions qu'on pose depuis des années sur l'affaire Cinar agacent François Macerola. «Claude Robinson a pris un grand détour pour faire la preuve qu'il était propriétaire du matériel. Ça a donné l'affaire Cinar. C'est tout à son honneur. Mais il faudrait qu'il arrête de faire la leçon à tout le monde, dont à moi. Si la police avait trouvé quelque chose sur moi, il y aurait eu un blâme. Mon nom n'a jamais été mentionné.»

L'auteure Louise Pelletier, une ancienne membre du conseil d'administration de Téléfilm, est très critique du rôle de l'organisme dans l'affaire Cinar. Mais elle croit que François Macerola a bien agi. «Sous son administration, on avait des réponses à nos questions. Ça n'a plus été vrai après son départ. Dans ce cas-là, à mon avis, on lui a fait un mauvais procès.»

À preuve, lorsque Téléfilm a continué à financer les productions de Cinar, malgré les poursuites, Macerola a appelé Louise Pelletier. «Il m'a dit: Comment ça se fait qu'on réinvestit dans Cinar?»

François Macerola est assis dans la salle de conférence de son nouveau royaume, la SODEC. Veston de cuir noir sur chandail noir, barbichette blanche soigneusement taillée, il scrute son interlocuteur derrière des paupières mi-closes. Sa voix est apaisante et ses manières, caressantes. «C'est un charmeur», dit Liza Frulla, qui était patronne de CKAC quand l'animatrice Suzanne Lévesque a rencontré Macerola à Cannes. La blonde animatrice est en couple avec lui depuis plus de 20 ans.

François Macerola est un Italien pur race, élevé dans les trois langues, qui mitonne lui-même sa sauce tomate. Il est né au coin de l'avenue Mozart et du boulevard Saint-Laurent, dans une famille pauvre. «Comme fils d'immigré, j'ai appris à m'adapter et j'ai développé mon système D», raconte-t-il. Son père peignait, sculptait et obligeait ses trois enfants à écouter l'opéra du samedi. C'est peut-être de là que vient son intérêt pour la culture.

«Il a un engagement passionnel dans la culture», raconte Louise Pelletier, qui se souvient encore de la diatribe que Macerola lui avait servie au lendemain d'un épisode d'un téléroman dont elle était l'auteure. «Il s'indignait des actions des personnages!»

Cet intérêt pour la chose culturelle se double d'un culot de tous les diables. Lorsqu'il entre à l'Office national du film, encore étudiant en droit, il rencontre Gilles Carle, qui vient de terminer son Léopold Z. Carle lui demande s'il connaît la distribution. Macerola n'a aucune hésitation. «Ben certain!» répond-il. «En fait, je ne connaissais strictement rien là-dedans, raconte-t-il en riant. Mais au coin de Saint-Laurent et Mozart, quand quelqu'un te demandait si tu connaissais quelque chose, c'était évident que tu répondais toujours oui.»

Au fil d'une carrière de plusieurs décennies, François Macerola aura fait le tour du milieu culturel. Un seul poste lui a échappé: celui de ministre de la Culture. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Au fil des ans, «le diplomate» a patiemment entretenu son réseau politique, chez les libéraux fédéraux et provinciaux. Au provincial, il s'est présenté dans Vimont en 1998, une période ingrate pour les libéraux de Jean Charest. Battu par le péquiste David Cliche, il est par la suite devenu président du PLQ. «Un des plus grands regrets que j'ai dans la vie, dit-il, c'est celui de ne pas avoir été élu député.»

 

Son parcours

1976-1989: Office national du film du Canada

1995-1998: Téléfilm Canada

Novembre 1998: Candidat du Parti libéral du Québec dans la circonscription de Vimont. Il est battu par David Cliche (PQ).

1998-2002: Téléfilm Canada

2003-2009: Cirque du Soleil

Depuis novembre 2009: Société de développement des entreprises culturelles