Manon Gauthier, la nouvelle directrice générale du Centre Segal des arts de la scène, a pour mission de «créer des ponts»: elle en a l'intention et les moyens.

Alvin Cramer Segal est monté de l'État de New York en 1951 et, comme beaucoup de juifs, il a commencé à travailler dans l'industrie du vêtement, dont il est devenu un des grands capitaines. C'est un homme simple, comme son approche qu'il nous explique avant de recevoir le Tout-Montréal Arts-Affaires au lancement de la campagne de financement du centre artistique qui porte désormais son nom. «Ça tient en une phrase: n'essayez pas de vendre aux gens quelque chose dont ils ne veulent pas.»

 

Le patron de Peerless, la grande manufacture du boulevard Pie-IX, comptait déjà parmi les bienfaiteurs de la communauté juive (Centre de cancérologie Segal, bibliothèque, etc.) quand il a rejoint les mécènes du Musée d'art contemporain et des Grands Ballets canadiens. Le reste a suivi...

«Ma femme m'avait intéressé au théâtre yiddish, raconte Alvin Segal. Je ne parle pas yiddish - je suis un Américain stupide: je parle juste anglais - mais je savais que c'était important pour notre communauté et j'ai apporté mon aide.» En 2006, la Young Men Hebrew Association annonce la fermeture du Centre d'arts Saidye Bronfman, que le «Y» administre (voir le tableau ci-dessous). «On n'arrivait plus à faire fonctionner la galerie et l'école d'arts plastiques, mais je ne pouvais pas laisser mourir le centre...»

Un investissement de 6,5 millions de dollars a permis de réaménager l'intérieur de l'édifice qui, équipé à la fine pointe, est devenu le Centre Segal des arts de la scène. «C'est mon nouveau hobby, dira Alvin Segal, le regard étincelant. Je ne connais pas grand-chose aux arts mais, quand j'arrive ici, j'aime voir tous ces jeunes qui jouent au théâtre, écoutent du jazz ou regardent un film. C'est merveilleux!

«Notre défi, maintenant, est d'assurer la stabilité de ces activités. On cherche l'appui des entreprises, on continue le rapprochement avec la communauté juive sépharade. Nous voulons aussi accueillir les francophones: avec l'arrivée de Manon, nous ouvrons grand la porte.»

Une battante

Anthropologue de formation, Manon Gauthier a commencé sa carrière aux Productions Jacques K. Primeau, où elle a monté la section musique. Au cours des 15 années suivantes, ravaillant pour des agences internationales, elle a évolué dans le vaste champ des communications et des affaires publiques. Sa spécialité: la gestion d'enjeux où le mariage arts-affaires constitue désormais la base de sa vision stratégique.

«Quand on est solide, on peut ouvrir les portes», lance la nouvelle directrice générale du Centre Segal des Arts de la scène, première Québécoise francophone à occuper un tel poste dans une institution juive d'importance. Jusqu'ici, Bryna Wasserman, la fille de Dora, cumulait les fonctions de DG et de directrice artistique, fonction dans laquelle elle avait succédé à sa mère en 1998.

La «solidité», Manon Gauthier la voit d'abord dans les valeurs de la communauté juive, dont le modèle communautaire a fait ses preuves: ceux qui en ont les moyens aident ceux qui sont dans le besoin, que ce soit sur le plan social ou culturel. Solides aussi, les bases artistiques du Segal: «Notre pilier, c'est le théâtre. Nous sommes un des grands centres du théâtre yiddish en Amérique, c'est connu, mais nous sommes aussi le foyer principal du théâtre anglophone à Montréal, où l'appui de la communauté nous permet d'offrir un théâtre professionnel de calibre international.» Et dans des productions originales: ici, pas d'affaires clé en main de New York.

Solides, finalement, les moyens mis à la disposition de Manon Gauthier pour remplir sa mission de «créer des ponts». «Je veux briser les barrières», dit cette battante qui conçoit le monde culturel moderne en termes de partenariats. «Notre modèle de gestion s'articule autour de relations avec le milieu des affaires, le secteur public et le public en général. Ici, notre approche découle du constat que l'offre culturelle doit reconnaître la diversité.»

L'an dernier, par exemple, le Segal a conclu avec le Rideau Vert une entente de coproduction qui a mis à l'affiche du théâtre de la rue Saint-Denis la traduction (Une musique inquiétante) de la pièce Old Wicked Songs de John Marans La pièce, mise en scène par Martin Faucher, a ensuite été jouée au Segal dans sa version originale anglaise par les mêmes acteurs, Jean Marchand et Émile Proulx-Cloutier. Montréal à l'os!

Partenariats... Avec l'Université de Montréal pour une série de musique instrumentale, avec Saputo pour un festival italien, avec CBC pour la série de concerts Routes Montréal diffusée à Radio 2. Et la programmation de 2010-2011, la première saison complète du trio Segal-Wasserman-Gauthier (qui sera dévoilée le 6 mai), en promet encore plus.

Si, comme elle le dit, le Centre Segal est encore «un secret bien gardé», il semble qu'il ne le restera plus bien longtemps avec Manon Gauthier à la barre.

 

REPÈRES

1893 L'Association Saint-Jean-Baptiste inaugure le Monument-National, où cohabiteront pendant un demi-siècle des troupes de théâtre canadiennes-françaises et yiddish.

1957 Dora Wasserman fonde le Groupe de théâtre yiddish, qui jouera entre autres au Gesù, à la Comédie canadienne (aujourd'hui le TNM) et au collège Brébeuf.

1967 Inauguration du Centre des arts Saidye Bronfman sur la Côte-Sainte-Catherine; les plans ont été conçus par Phyllis Lambert, la fille de Saidye et Sam Bronfman.

1992 La pièce Les Belles-soeurs de Michel Tremblay est jouée au Théâtre yiddish du Centre.

2008 Le Saidye-Bronfman devient officiellement le Centre Segal des arts de la scène.