Le piratage de la musique, des films, séries de télévision, logiciels et autres jeux vidéo protégés par le droit d'auteur et circulant sur l'internet est déclaré illégal par le nouveau projet de loi fédéral C-32 visant à actualiser le droit d'auteur au Canada. Le projet rendu public hier vise surtout à pénaliser les individus ou les entreprises favorisant le piratage illégal, plutôt que les consommateurs qui pourront continuer de faire des copies privées.

En ce sens, le ministre de l'Industrie, Tony Clement, et le ministre du Patrimoine canadien, James Moore, ont affirmé que leur projet de loi visait à «faire du Canada un chef de file de l'économie numérique mondiale». Ils affirment que cette loi devra obligatoirement être réévaluée dans cinq ans et qu'il s'agit d'«un premier pas» pour refaire l'équilibre entre les créateurs, les producteurs et les consommateurs.

En entrevue à La Presse, les ministres Moore et Clement ont précisé que l'illégalité du piratage était l'élément «central» de leur législation.

«Ce n'est pas le cas maintenant, insiste M. Moore. Les gens qui téléchargent les chansons d'un artiste peuvent les mettre sur un site internet ou les vendre à des amis. Ce n'est même pas un crime.»

La lutte contre le piratage, selon le projet de loi, se fera d'abord en visant les responsables de cette pratique.

«Il est important d'attaquer les entreprises et les individus qui causent le plus grand tort. Je pense aux pisteurs BitTorrent, aux sites illégaux de partage... Quant aux consommateurs, ils seraient moins visés», fait valoir le ministre Clement.

«L'industrie de la musique, ajoute-t-il, a déjà décidé de ne pas attaquer les individus qui aiment la musique. Notre stratégie est la leur, c'est-à-dire viser plutôt les entreprises et les individus qui facilitent les échanges illégaux.»

S'arrimer aux autres pays

James Moore voit dans ce projet de loi l'urgence pour le Canada de s'arrimer à la tendance internationale en proposant sa propre solution.

«Il n'y a pas un pays parmi les 88 ayant signé les traités de l'Organisation mondiale de la propriété intellectuelle qui ait opté pour la même loi. Nous avons opté pour une disposition «avis et avis» afin de lutter contre le piratage. La loi aux États-Unis est plus agressive à l'endroit des consommateurs qui y contreviennent.

En France, la loi prévoit une riposte graduée en trois étapes qui peut mener jusqu'à la suspension de la connexion internet. Cette loi transforme les fournisseurs d'accès en policiers de l'internet et nous ne voulons pas ça.»

La disposition «avis et avis» du projet de loi oblige les fournisseurs d'accès internet à transmettre à leurs abonnés toutes les allégations de contrefaçon reçues de la part des titulaires de droit. Lorsqu'une oeuvre a été copiée sans autorisation pour des fins commerciales, les dommages intérêts demeureront à une somme variant entre 500$ et 20 000$, mais s'il s'agit d'un usage non commercial, les dommages varieront de 100$ à 5000$ et devront tenir compte de la gravité du cas.

Copie privée possible

La copie d'oeuvres pour usage personnel demeure toutefois possible avec le projet de loi. «Les gens pourront, à des fins personnelles, copier toute oeuvre musicale, cinématographique ou autre qu'ils auront légitimement acquise, sur l'appareil de leur choix, dont les baladeurs numériques MP3, et en faire des copies de sauvegarde», indique le document du gouvernement conservateur.

Une certaine souplesse, donc, qui prévoit aussi des exceptions à l'utilisation des contenus numérisés dans le monde de l'éducation.

«Nous voulons donner aux créateurs le choix de protéger leurs oeuvres avec des serrures technologiques, c'est à eux de décider», indique James Moore.

«Ça dépend du marché. La musique n'utilise plus de verrous technologiques alors que c'est essentiel pour les jeux vidéo, nuance Tony Clement. Il devient aussi illégal de manufacturer et distribuer des logiciels qui déverrouillent les mécanismes de protection prévus par les titulaires du droit d'auteur.»

Le projet du gouvernement conservateur rejette cependant le concept de redevances redistribuées aux titulaires du droit d'auteur, prélevées entre autres sur les outils de lecture et de diffusion.

«Ce n'est pas notre position d'imposer de nouveaux coûts aux consommateurs», soutient M. Moore, conscient qu'un débat sur la question des redevances suivra, étant donné les positions différentes du Nouveau Parti démocratique et du Bloc Québécois.

Loi C-61

Un premier projet de loi présenté en juin 2008 par les ministres Bev Oda et Jim Prentice avait été remis aux calendes grecques, ce qui avait suscité l'insatisfaction de plusieurs milieux concernés par l'actualisation du droit d'auteur à l'ère numérique.

«La plus grande plainte contre notre ancien projet de loi, relate James Moore, est que les gens n'étaient pas impliqués dans sa conception. Cette fois, nous avons consulté les artistes canadiens, les groupes de consommateurs, les industries culturelles, les avocats spécialisés dans ce sujet, le monde de l'éducation.»

Tony Clement y voit une composante cruciale d'une stratégie d'ensemble pour l'usage des technologies numériques.

«Nous devons avoir une stratégie numérique pour l'ensemble des secteurs industriels. Pour que cette stratégie fonctionne, il est important que nous ayons une loi actualisée sur le droit d'auteur.»