Le nouveau patron du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM), Christian Paire, est un amoureux des arts, une sorte de Duc de Médicis du secteur de la santé. Si sa priorité est d'améliorer le fonctionnement du CHUM et de préparer l'arrivée du nouveau CHUM, il va en même temps injecter plus de culture dans l'hôpital afin de le rendre plus humain pour les malades et pour le personnel.

Plutôt que de rencontrer La Presse dans son bureau, Christian Paire a voulu donner sa première entrevue médiatique au Musée des Hospitalières de l'Hôtel-Dieu, dans la salle de l'exposition Soins et compassion. Tout un symbole.

 

M. Paire veut en effet poursuivre à Montréal l'oeuvre qu'il a réalisée en France, soit de rendre l'hôpital... hospitalier en y faisant entrer l'art sous toutes ses formes.

«Apollon n'était-il pas à la fois le dieu des arts et un dieu guérisseur?» écrit le ministre français de la Culture, Frédéric Mitterand, dans la préface du livre Humanités, 10 ans d'arts et de culture dans les CHU, réalisé par la commission Culture des CHU français, dont Christian Paire a été nommé président en 2004. «La culture est un moyen de se réapproprier son corps qu'on cède aux mains du personnel hospitalier, dit M. Paire. Le risque de la médecine moderne est qu'elle soit techniciste. Avec le progrès, il ne faut pas perdre de vue qu'on soigne des personnes et pas un coeur, un rein ou un poumon. Un malade, c'est souvent un numéro. «Vous apporterez ça au 23!»»

Christian Paire dit que la démarche d'intégrer l'art dans les hôpitaux a commencé avec les enfants malades qui ont reçu la visite de clowns puis avec les aînés qui perdent souvent leurs repères. «L'hôpital, c'est l'attente du repas, de la toilette, du médecin, dit-il. Et on ne décide rien. On n'a plus la maîtrise du temps et de l'espace.» Selon M. Paire, l'art permet de produire «un autre temps» pour que le «patient» - le mot prend ici tout son sens - échappe à la morosité.

À Montréal, il existe des expériences d'intégration de l'art dans le milieu hospitalier (voir autre texte en page 4). Christian Paire veut aller plus loin et «créer du lien, de l'émotion, de la liaison entre la cité et l'hôpital».

L'expérience parisienne

C'est à l'hôpital Bicêtre de Paris, de 1987 à 1992, que Christian Paire a, pour la première fois, incorporé l'art dans le milieu hospitalier. «J'avais monté à Bicêtre des pièces de théâtre, des concerts et même des défilés de mode», dit-il.

Au CHU de Rouen, il a fait transformer en musée la maison natale de l'écrivain Gustave Flaubert, reliée à l'hôpital. Il a fait venir la compagnie de danse Sylvain Groud pour animer des ateliers avec des malades du sida. «Le personnel s'arrête et danse avec les malades et les danseurs, dit Christian Paire. J'ai même installé des artistes en résidence à l'hôpital, avec leur atelier. Les malades viennent voir ce qu'ils sont en train de créer.»

L'Institut de formation en soins infirmiers au CHU d'Amiens intègre depuis 2006 l'improvisation théâtrale dans son enseignement. «La relation du soignant au corps du malade est très importante, dit M. Paire. Il faut trouver la bonne distance, pas trop pour ne pas s'attacher au malade, mais assez pour ne pas voir que la pathologie. Quand on fait faire de la danse ou du théâtre à des infirmiers, un rapport au corps se crée. Plus à l'aise avec son corps, le soignant est plus à l'aise avec celui des malades.»

Au CHU d'Angers, l'Orchestre national des Pays de la Loire envoie des musiciens dans les salles d'attente et les chambres des patients.

À Besançon, on a associé les enfants malades, leurs parents et le personnel à un projet photographique. Les photographies ont ensuite été exposées à l'hôpital et dans des espaces culturels de la région.

À Grenoble, on organise des lectures théâtralisées dans les espaces d'attente et au «pied du lit» ainsi que des rencontres avec les écrivains.

Ces expériences françaises ont donné lieu à la création de la commission Culture de la Conférence des directeurs généraux de CHU en 2002. L'arrivée de la culture au sein des services de santé français a été officiellement décrétée l'an dernier. «Ma dernière réalisation aura été de faire mettre dans la loi hospitalière française l'obligation pour chaque hôpital d'avoir un projet culturel», dit Christian Paire.

Mais qui finance ces projets? «Des agences publiques, le ministère de la Culture, les villes et les régions dans le cadre de leur mission de service public et des partenaires privés, comme des laboratoires pharmaceutiques», dit M. Paire.

Quand La Presse est entrée à l'Hôtel-Dieu pour le rencontrer, les murs des couloirs du pavillon étaient nus. Pas un tableau. Juste un panneau du plan d'évacuation. Christian Paire veut changer cette situation mais il n'imposera rien.

Dans le cadre de son approche «éthique et esthétique», les changements se feront en douceur, d'abord avec les équipes qui ont déjà pris des initiatives. Alors qu'on en est à concevoir le nouveau CHUM, M. Paire et son équipe veillent à ce que l'architecture du futur hôpital tienne compte de cet aspect.

«J'ai été marqué par André Malraux, qui a créé le ministère de la Culture en France, il y a 50 ans, dit M. Paire. Malraux disait que le but de la culture n'est pas de rester dans les musées, qu'il faut que les tableaux soient dans la vie, dans les gares, dans les prisons, à la rencontre des autres. Donc aussi à l'hôpital.»