Pour exister dans l'espace public, il faut exister dans l'oeil des médias. C'est ce qu'avaient compris les jeunes felquistes Jacques Lanctôt et Paul Rose, ces «enfants de la télé» qui ont voulu attirer l'attention sur leur combat.

C'est l'angle des deux épisodes spéciaux de l'émission Tout le monde en parlait qui seront présentés ce soir et demain (20 h et 21 h) pour commémorer les 40 ans de la crise d'Octobre. Le journaliste Guy Gendron a voulu présenter non pas une thèse, mais «la vision des différents acteurs engagés», souligne-t-il. Il suffit de revoir les événements - distribution des communiqués du FLQ, conférences de presse de l'avocat du FLQ, Robert Lemieux - pour constater à quel point les médias étaient au coeur de l'action des différentes cellules du FLQ.

Durant ces deux heures, on voit donc défiler les Jacques Lanctôt, Robert Comeau, Marc Lalonde et Julien Giguère, directeur du renseignement à la section antiterroriste du Service de police de Montréal. Au fil des entrevues, on comprend que l'objectif premier des jeunes felquistes était le contrôle des médias.

«Cet angle s'est imposé dès le début», explique Guy Gendron qui travaille sur ce projet depuis mars dernier. Ainsi, Jacques Lanctôt raconte que Paul Rose et lui avaient comme plan initial d'enlever le lieutenant-gouverneur du Québec, de prendre d'assaut les ondes de Radio-Canada durant 24 heures pour diffuser un documentaire qui aurait montré des images de la pauvreté au Québec. On avait même trouvé un titre à ce «téléthon indépendantiste et révolutionnaire: Showtime»...

L'époque était fort différente: on croit rêver en voyant le ministre de la Justice de l'époque, Jérôme Choquette, refuser de rendre public le contenu des communiqués du FLQ aux journalistes. Une telle situation serait impensable aujourd'hui.

Il y a aussi des moments émouvants comme celui où Gaétan Montreuil se rappelle la lecture du fameux manifeste qu'il a faite au Téléjournal de Radio-Canada. Entendre ce monsieur très digne, dans un français impeccable, dire «Trudeau la tapette» ou «Bourassa le serin» a toujours fait sourire. Or, on apprend que M. Montreuil était particulièrement ému de lire cette dénonciation de l'inégalité des richesses au Québec, lui qui avait grandi, pauvre, dans le quartier Saint-Henri. «J'ai vécu ce qu'on disait dans le texte», raconte l'ancien lecteur de nouvelles, aujourd'hui âgé de 79 ans. On rappelle aussi qu'il ne s'agissait pas de la première lecture du manifeste. Le journaliste Louis Fournier l'avait lu 24 heures plus tôt sur les ondes de CKAC.

Le journaliste Guy Gendron, qui présentera un autre reportage la semaine prochaine dans le cadre de l'émission Enquête, promet également d'éclaircir les circonstances exactes de la mort du ministre Pierre Laporte.

Si Guy Gendron avait 13 ans à l'époque des événements d'octobre, Bernard Derome, lui, a vécu la crise en direct. «On a été en quelque sorte la première chaîne d'information continue au Canada, se souvient-il, parlant des quelques jours entre l'enlèvement de James Cross et la mort de Pierre Laporte. On couchait presque là.»

Il propose pour sa part un document d'une heure (le vendredi 1er octobre, 21 h) qui se veut une mise en situation des différents acteurs de la crise. Hier, on a pu visionner un extrait d'une entrevue réalisée avec Paul Rose qui raconte la misère dans laquelle il a grandi à Ville Jacques-Cartier, l'ancêtre de Longueuil, là où il n'y avait ni eau courante ni égouts, et où les maisons brûlaient comme des fétus de paille parce que «les pompiers ne venaient pas».

«La crise d'Octobre, pour nous, c'est l'équivalent de l'assassinant de John F. Kennedy pour les Américains», ont souligné plusieurs artisans de Radio-Canada. Et comme pour l'assassinat du président américain, chaque nouveau reportage nous fait découvrir une nouvelle facette de cet événement marquant de notre histoire.