«Ce n'est pas l'autobus du showbusiness qui se rend  à Ottawa, c'est celui de la dignité et de la solidarité», a suggéré Marie-Denise Pelletier avant de monter à bord. À l'initiative de l'interprète et de quelques collègues, presque toutes les pointures de la chanson québécoise ont investi mardi  la colline parlementaire.

Trois autocars bondés d'auteurs, compositeurs et interprètes ont ainsi roulé mardi sur la C-32, pour employer une métaphore routière. Plus concrètement, toutes les générations d'artistes de tous genres, de Robert Charlebois à  Luc Plamondon, de Marie-Mai aux Vulgaires Machins en passant par Mes Aïeux, se sont rendus mardi à Ottawa afin d'y convaincre un maximum de députés de leurs désaccords profonds concernant plusieurs dispositions du projet de loi conservateur. Rappelons que le C-32 vise à actualiser le droit d'auteur dans un environnement numérique.

Une mobilisation sans précédent

«Jamais je n'ai observé une telle mobilisation en 40 ans de métier, a souligné Louise Forestier. Ça témoigne de l'importance de cette cause, particulièrement pour les générations futures. J'ai connu l'âge d'or du disque, mais les jeunes? On va en perdre les trois-quarts, ils seront obligés de vendre leur maison, leur équipement, leur studio, arrêter de faire de la musique. Si on perd 40% de notre salaire, on n'aura pas la qualité de vie suffisante pour arriver à exercer ce métier.»

Également du voyage, Luc Plamondon s'est aussi réjoui d'un ralliement aussi considérable, et ce dans un contexte de grande inquiétude: «À partir du moment où l'on copie une oeuvre, le droit d'auteur doit exister. On croyait avoir gagné ce principe-là, alors qu'il faut encore parler d'un manque à gagner pour toute la chaîne de création. Si une loi fait en sorte que la création diminue, certains collègues seront obligés de changer de métier parce qu'il n'arriveront pas à y gagner leur vie. Au bout du compte, c'est une culture qui s'appauvrit.»

Stéphane Archambault, chanteur de Mes Aïeux, s'est montré plus précis: «Le gouvernement Harper nous parle de modernisation du droit des utilisateurs, nous parle d'équilibre. Mais le C-32 c'est en réalité 40 nouvelles exceptions qui réduisent la portée du droit d'auteur. C'est la mort à court terme de la copie privée. C'est une carte blanche pour les fournisseurs de services internet qui tirent profit de l'utilisation de nos oeuvres.»

Le chanteur Bruno Pelletier a insisté sur le caractère collectif de cette initiative: «Nous, qui sommes connus, représentons une communauté formée majoritairement d'artistes qui travaillent dans l'ombre. Plusieurs d'entre eux ont besoin d'un deuxième emploi pour continuer à créer. Je dirais même que les artistes qui gagnent correctement leur vie constituent une petite minorité. Si on retire des droits au reste des créateurs, plusieurs passeront à autre chose.»

Robert Charlebois, lui, a parlé d'avenir et d'équité: «J'ai eu la chance de faire beaucoup de classiques, ça ne veut pas dire que je ne pense pas à ceux qui vont venir après moi. Je suis là au nom de ceux qui continueront à écrire des chansons, de ces milliers de créateurs qui ne sont pas dans les autobus. Sur l'autoroute électronique, il faut un partage du gâteau. Notre salaire, c'est le droit d'auteur. Qu'on puisse faire ce qu'on veut de nos chansons sur l'internet sans nous consulter, je trouve ça immoral.»

Pierre Lapointe s'est dit très fier d'être parmi ses collègues et a commenté la notion d'accès aux contenus: «Nous, auteurs-compositeurs, sommes aussi consommateurs de musique. Nous ne sommes pas contre l'accès facile à la musique. Ce qui est frustrant, toutefois, c'est de voir à quel point on fait de l'argent sur notre dos. Nous sommes sous-estimés dans cette chaîne de la circulation des contenus et sommes pourtant à la base de cette écologie»

Ariane Moffat a relevé le caractère anachronique de cette journée passée à Ottawa: «J'ai quand même du mal à comprendre pourquoi il faut quémander un droit acquis. Cette pensée archaïque sur le droit d'auteur nous fait reculer alors que les technologies ne cessent d'avancer. Et je n'en reviens pas que les fournisseurs d'accès internet s'en tirent.»

Convaincre les libéraux

Richard Séguin, autre vétéran de la chanson québécoise, a vu dans cette mobilisation un caractère historique: «Nous avons des chances de gagner car nous donnons un visage à des revendications qui sont mises de l'avant depuis des mois. En fait, il s'agit surtout de convaincre les libéraux. Entre autres, rappeler à Michael Ignatieff qu'il est lui-même un auteur!»

Faut-il rappeler que les artistes de la musique craignent une défection d'une portion de députés libéraux dans ce dossier.

Pablo Rodriguez, porte-parole du Parti Libéral pour le dossier de la culture, s'est appliqué à  infirmer cette impression. «Le parti libéral du Canada a un position très claire sur cette question: le projet de loi C-32 n'est pas équilibré, et ce déséquilibre est au détriment des artistes. Il faudra  donc plusieurs amendements au projet avant de  l'adopter. Sur le régime de copie privée, par exemple, il est clair pour nous que les créateurs doivent êtres compensés. Maintenant, il faut s'asseoir avec eux avant de préciser comment y parvenir. Il faudra aussi nous pencher sur la question de la responsabilisation des fournisseurs d'accès internet...»

Carole Lavallée, porte-parole du Bloc Québécois en matière de patrimoine, a manifesté un soutien plus clair aux revendications des artistes. «Nous voulons apporter des amendements substantels dans le projet de loi C-32 car il est complèment déséquilibré, en faveur de la grande entreprise, de la grande industrie. C'est tellement vrai que 400 industries, 38 multinationales, 300 chambres de commerce et 150 pdg de grandes entreprises soutiennent le projet C-32 dans sa version actuelle. Déjà, on observe que trois grosses exceptions  du projet de loi priveraient annuellement 74 millions de dollars aux artistes: l'éducation, la modernisation du régime de copie privée, l'enregistrement éphémère des radiodiffuseurs et télédiffuseurs, sans compter l'absence de compensation de la part des fournisseurs d'accès internet.»

Charlie Angus, porte-parole du Nouveau Parti Démocratique, a souhaité que les Libéraux se rallient au reste de l'opposition afin d'amender le projet C-32, à défaut de quoi les artistes y perdront beaucoup. «Les Conservateurs s'en prennent au droit des artistes à gagner leur vie. C'est pourquoi le NPD s'oppose à ce projet de loi dans sa forme actuelle. Les conservateurs voient une taxe dans les redevances légitimes de la copie privée destinée aux artistes, ce qui est inacceptable. Également, nous sommes pour l'accès sans serrures et pour une compensation subséquente aux artistes. Enfin, nous voulons clarifier le maintien des droits de reproduction dans le monde de l'éducation.»