Mort jeudi matin à 88 ans, Pierre Gauvreau aura peint jusqu'à la toute fin de sa vie.

La semaine dernière encore, dans sa maison de Saint-Armand, le peintre était dans son atelier avec Janine Carreau, sa conjointe des 35 dernières années. Moment de grâce avant de s'éteindre.

«La dernière année a été épouvantable sur le plan de la santé, dit Mme Carreau en entrevue à La Presse. En octobre, il a subi l'amputation d'une jambe. J'ai donc fait construire un grand trottoir à la campagne pour qu'il puisse aller à son atelier. Comme il souffrait d'insuffisance cardiaque, il n'a pas pu peindre beaucoup. La semaine dernière, nous y étions retournés. Il a nommé 27 tableaux qu'il n'avait pas encore titrés et il a réussi à terminer une toile inachevée. Lorsqu'il a vu qu'il n'était plus capable de peindre, il s'est laissé aller.»

En dépit de la douleur physique, en dépit de la maladie, Mme Carreau évoque ces derniers jours avec beaucoup de tendresse. Pierre Gauvreau et elle étaient revenus dans leur appartement de Montréal il y a une semaine. Ce dernier voulait mourir à la maison. «Nous avons presque réussi, dit sa conjointe. Il a passé 18 heures aux soins palliatifs. Ce furent des heures bénéfiques car le personnel médical a réussi à contrôler la douleur. J'étais à son chevet, je lui parlais à l'oreille. Je ne peux pas demander mieux, après 35 ans de bonheur.»

Refus global

Peintre, auteur, producteur, réalisateur et un des signataires de Refus global, Pierre Gauvreau fut l'un des artisans majeurs du paysage culturel québécois de la seconde moitié du XXe siècle. Né en 1922 à Montréal, il entre très jeune à l'École des beaux-arts de la métropole. Remarqué par Paul-Émile Borduas, il se joint, avec son frère Claude, au groupe de jeunes artistes radicaux se rassemblant dans l'atelier du peintre. Dès 1943, il expose à la Société d'art contemporain. Cinq ans plus tard, il est un des signataires de Refus global.

Tout en poursuivant son travail de peintre et après un passage dans l'armée (1943-1946), M. Gauvreau amorce un travail de réalisateur et de producteur tant à Radio-Canada qu'à Radio-Québec (aujourd'hui Télé-Québec) et à l'Office national du film. «Il s'est tout de suite intéressé à ce nouveau langage qu'était la télévision. Sa participation fut capitale au développement de notre télé», dit l'animateur Michel Désautels, qui jouait un enfant (Paul) dans le téléroman Rue de l'Anse réalisé par Gauvreau dans les années 60.

Auteur

Tantôt producteur (IXE-13, Le temps d'une chasse), tantôt réalisateur (Pépinot, Radisson, D'Iberville, Chez Denise), l'homme a aussi écrit trois téléromans pour Radio-Canada: Le temps d'une paix, Cormoran et Le volcan tranquille.

«Je retiens sa grande créativité, son ouverture de coeur, dit la comédienne Nicole Leblanc, inoubliable Rose-Anna dans Le temps d'une paix. Pour lui, l'amitié était fondamentale. Il partageait une grande culture qui faisait que les gens autour de lui ne se sentaient pas amoindris. Il a connu une très belle vie sur le plan de la créativité.»

Si les deux premiers téléromans ont connu un grand succès, Le volcan tranquille n'a pas attiré autant de téléspectateurs. La deuxième saison a été présentée en été. Dépité, Gauvreau a cessé d'écrire les textes de la troisième saison.

Dans l'intervalle, il avait recommencé à peindre, le 13 décembre 1976 pour être exact.

«Après 13 ans d'arrêt, il avait été en mesure de reprendre ses pinceaux, dit Mme Carreau. Il écrivait comme il peignait, c'est-à-dire de façon spontanée. L'été, lorsqu'il écrivait les épisodes de ses téléromans, il faisait tout d'un premier jet. Il n'y avait pratiquement pas de ratures. Il entendait les dialogues.»

C'est en travaillant dans leur immense jardin de Saint-Armand qu'il trouvait l'inspiration. «Il venait me voir et me disait: "J'ai trouvé ma grande intrigue pour l'an prochain"», évoque Mme Carreau avec tendresse.

Le cinéaste Charles Binamé a connu M. Gauvreau au début des années 70 et lui a consacré un documentaire, très poétique, Gauvreau ou l'obligation de la liberté, en 2001.

«Nous avions bien des atomes crochus. Cette amitié tournait beaucoup autour de l'univers de la création, du désir de débusquer l'inconnu, dit le cinéaste. Il m'a toujours encouragé dans mes démarches de création. C'était un homme extrêmement ouvert aux arts, et ce, sans préjugés.»

Une cérémonie strictement privée à la mémoire de Pierre Gauvreau aura lieu, bientôt, dit Janine Carreau. Une cérémonie publique, dont les détails seront connus plus tard, sera aussi organisée.