Devant le cancer, il n'y a plus de vedettes, il n'y a plus de célébrité, raconte la comédienne Dominique Michel, en rémission d'un cancer du côlon. Il n'y a que les petites indignités quotidiennes de la chimiothérapie, que tous les patients partagent. Mais dans la grande bataille du financement d'un hôpital, la célébrité peut jouer un rôle. Un rôle sur mesure pour la comédienne de 79 ans.

Chaque jour au Québec, environ 125 personnes reçoivent la gifle terrible qu'est un diagnostic de cancer. Le 16 juin dernier, Aimée Sylvestre, alias Dominique Michel, a reçu le sien: cancer du côlon. Au deuxième rang des cancers les plus meurtriers au pays.

Il s'agit de Dominique Michel, icône du showbiz québécois, mais son histoire est classique, banale. Des douleurs au bas-ventre. Un malaise général. Le déni. «Une amie m'a dit: As-tu déjà passé une coloscopie? J'ai répondu: Mais non, je vais bien!»

La coloscopie consiste à insérer une caméra dans les intestins du patient. Un chirurgien peut ainsi voir, en temps réel, si des polypes se sont formés sur la paroi intestinale. C'est une intervention chirurgicale un peu déplaisante, qui nécessite généralement une légère anesthésie.

Un polype est une excroissance de chair. Un polype n'est pas nécessairement cancéreux. Mais chaque cancer du côlon commence par un polype. Le chirurgien peut brûler les polypes pendant l'intervention, tuant la tumeur potentielle dans l'oeuf.

Encore faut-il subir des coloscopies régulières, selon son historique familial. Mais à 78 ans, Dominique Michel n'en avait jamais subi. En ce printemps 2010, elle s'y est pliée, cinq semaines après l'apparition des douleurs.

L'intervention n'a pas été très longue, confie Dodo: «Le scope ne passait pas. La tumeur était déjà trop grosse.»

C'était clair comme de l'eau de roche. On avait affaire à un cancer du côlon. «Quand ils m'ont dit que c'était un cancer, j'ai répondu: Non! Impossible! J'avais fait attention, dans ma vie. Pas de cigarette, pas de dope, pas d'abus d'alcool...»

Le chirurgien-oncologue Jean-François Latulippe a opéré Dominique Michel en juin, à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. La tumeur a été retirée. La comédienne a eu cette chance, immense: son cancer était localisé, aucune métastase n'était apparemment allée coloniser d'autres organes. Mais le protocole est intraitable: elle allait devoir se farcir l'épreuve de la chimiothérapie, pour tuer des métastases indétectées.

La chimiothérapie n'est ni plus ni moins que l'injection d'un poison dans l'organisme. Un poison destiné à en tuer un autre, plus grand, le cancer. Pour le cancer du côlon, c'est le 5-FU qui est privilégié. Comme des milliers d'autres Québécois atteints du même cancer, Dominique Michel a vécu six mois de chimiothérapie au 5-FU, après son hospitalisation.

Quand Dodo a évoqué le choc des traitements - «Après la deuxième séance de chimio, plus de son, plus d'images!» - j'ai repensé à ce livre de Pierre Gagnon, un publicitaire de Québec qui a raconté sa chimio dans une plaquette magistrale, 5-FU, publiée en 2005. Gagnon évoque l'effet cumulatif des traitements: les amis y vont de leurs conseils. Mange un peu ceci, mange un peu cela. Merci quand même, vous ne pouvez pas imaginer la force de la bête, c'est elle qui décide...

«Sur le coup, quand tu viens à l'hôpital pour recevoir le traitement, ça ne fait pas mal», me raconte Dominique Michel, par un matin pluvieux, à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. «Le malaise commence 48 heures plus tard...»

Viennent ensuite toutes ces petites indignités qui affligent le patient en chimio. La nausée. Les ulcères aux gencives, sur la langue, le palais. La fatigue, extrême, «qui me forçait à ramper par terre, pour revenir à mon lit», dit-elle.

Ce qu'a vécu Dominique Michel n'est pas différent de ce que vivent les centaines de patients qui passent par les soins des oncologues de Maisonneuve-Rosemont, chaque année.

Comme les autres

Plus tôt, en me faisant visiter la section de l'hôpital où les cancéreux attendent avant de se faire traiter, la comédienne se faisait reconnaître aux trois pas par des patients. Des marques d'affection discrètes, chaleureuses: «Bonjour Mme Michel!» «Dodo! Contente de vous voir!»

Elle marchait dans l'unité où on injecte le poison avec l'assurance de celle qui connaît les lieux, saluant les membres du personnel par leurs noms. Il y a 22 places dans cette unité; 22 petits carrés où les patients reçoivent leurs traitements. Dans cette section, le calme règne. Tout est ordonné, feutré.

C'est dans la salle d'attente que ça se gâte. Elle est pleine. Il y a des gens debout. L'hôpital Maisonneuve-Rosemont dessert 500 000 personnes dans l'est de Montréal. Avec la population qui vieillit, on ne peut qu'imaginer le chaos qui régnera, dans cette salle d'attente, dans cinq, sept, dix ans...

C'est dans cette salle d'attente bondée qu'elle a attendu, comme tout le monde. Parfois, cinq, six heures. Comme les autres.

«Ça m'a bouleversée de voir ça, dit-elle en désignant les lieux. Regardez comme les gens attendent. Le manque d'espace, c'est ce qui m'a frappée, quand j'attendais ici, avec les gens.»

C'est Dominique Michel, son histoire n'est pas plus ou moins importante ou tragique que celle de milliers de Québécois qui ont eu à se battre contre le cancer. En chimiothérapie, il n'y a plus d'idoles, il n'y a plus de vedettes. Que les mêmes ulcères, que le même goût de métal rouillé dans la bouche...

Ce qui est différent, c'est que la comédienne a décidé de prêter son visage, sa renommée et son talent pour aider l'hôpital à se doter d'un centre de cancérologie digne du XXIe siècle. «C'est Mme Michel qui est venue à nous», relate le Dr Rafik Ghali, président du comité des médecins, dentistes et pharmaciens de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont. «Nous en sommes à préparer le financement de ce centre de cancérologie. Il va falloir trouver de l'argent, beaucoup d'argent. Et, fortuitement, nous avons appris qu'elle voulait aider.»

C'est ainsi que Dominique Michel, survivante d'un cancer du côlon, est devenue porte-parole de la Fondation de l'hôpital Maisonneuve-Rosemont, pour le centre de cancérologie *. Vous allez la voir souvent, ces prochains mois, tenter de vous soutirer quelques dollars pour une bonne cause. Sa bonne cause.

Elle n'a jamais perdu espoir

«T'es comme tout le monde, quand t'es malade. T'es pas mieux, t'es pas plus intelligente», raconte Dominique Michel, toujours étincelante avec ses yeux bleus, à 79 ans.

Elle revient sur ces heures à attendre, à parler avec les gens, pendant ses traitements. «J'ai consolé du monde, même si je n'étais pas plus forte qu'eux. On était tous les mêmes, les mercredis, quand je venais ici. Les mêmes à attendre...»

La comédienne jure n'avoir jamais perdu espoir, jamais sombré dans la déprime. Elle a vu des cas pires que le sien, des jeunes gens, un père de famille condamné; une femme qui devait aller travailler, par nécessité, après la chimio...

Avant, quand elle lisait les rubriques nécrologiques et qu'elle voyait des gens de 75, 76 ans dont on recensait le décès, Dominique Michel, comme tout le monde, se disait: «Il faut bien mourir de quelque chose...» Puis, à 78 ans, bang, c'était à son tour de flirter avec la bête, avec la mort. «Je n'ai pas eu peur de mourir. Mais je ne voulais pas partir tout de suite!»

______________________________________________________________________________

* Le site de la Fondation: jappuiedodo.com