Le gouvernement fédéral prétend entrer enfin dans le 21e siècle, les artistes dénoncent un énorme pas en arrière: les conservateurs sont revenus à la charge avec le projet de loi sur les droits d'auteur qui avait soulevé un tollé l'an dernier.

La copie conforme de ce qui avait fait rager les artistes a été déposée jeudi aux Communes, dans un effort de moderniser des lois considérées obsolètes par le gouvernement.

Le projet de loi tient compte des récents progrès technologiques, en cette ère du iPad et du lecteur de DVD portatif, et vise notamment à freiner le piratage, qui fait mal à bien des créateurs.

Il n'inclut pas cependant la possibilité pour les musiciens de toucher des redevances sur la vente de lecteurs de musique portatifs, une demande des artistes, qui ont vu leurs revenus diminuer avec la perte de vitesse du disque compact.

«On n'est pas en faveur d'imposer de nouveaux coûts et impôts sur les consommateurs», a lancé le ministre du Patrimoine canadien James Moore en conférence de presse, jeudi, dans un cinéma à Ottawa.

«On ne reviendra pas sur le fait (de refuser) d'avoir une taxe sur l'iPod, comme il est demandé», a renchéri son collègue de l'Industrie, Christian Paradis.

En novembre, une centaine d'artistes québécois avaient manifesté aux portes du parlement contre le projet de loi, finalement mort au feuilleton avec le déclenchement de la campagne électorale du printemps.

Les artistes reprochaient par ailleurs à ce projet de loi de geler le régime des copies privées (compensation payée sur la reproduction d'une oeuvre). Ils réclamaient également des redevances des fournisseurs de service Internet pour compenser les pertes qu'ils subissent lorsque leurs oeuvres musicales sont téléchargées illégalement.

Aucune de leurs doléances n'a été prise en compte dans la nouvelle version du projet de loi.

«Effectivement, on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais tout le monde a été entendu (par le passé), et on croit avoir la bonne approche, c'est l'approche équilibrée», a assuré le ministre Paradis.

Pour la chanteuse Marie Denise Pelletier, le gouvernement fédéral fait usage de «démagogie pure et simple» avec son projet de loi, en refusant de mettre à jour un système de redevances comme il en existait pour les cassettes et les CD vierges.

«On reconnaît que la musique vaut quelque chose quand on la copie sur un CD, mais elle ne vaut plus rien si on la copie sur un enregistreur audionumérique», a-t-elle dénoncé en entrevue.

Elle concède que puisque les conservateurs sont désormais majoritaires aux Communes, il sera bien plus difficile de faire entendre la voix des artistes à Ottawa cette année. «Ça ne veut pas dire qu'on a dit notre dernier mot», prévient-elle.

Verrou

Un autre point litigieux de ce projet de loi réside dans le «verrou numérique». Avec cette disposition, il sera par exemple illégal pour un consommateur de contourner le verrou installé sur le DVD qu'il a lui-même acheté afin de simplement le copier sur son ordinateur personnel. Cela pourrait devenir particulièrement problématique pour les verrous installés sur du matériel utilisé à des fins pédagogiques.

Selon le néo-démocrate Charlie Angus, ce sont surtout les grandes compagnies qui profiteront de la nouvelle loi sur le droit d'auteur.

«Les artistes n'y gagnent pas parce que des millions de dollars leur sont enlevés en redevances, les étudiants n'y gagnent pas parce qu'ils auront du mal à avoir accès au matériel éducatif dont ils ont besoin. Ce sont certains détenteurs de droits d'auteur, les grosses compagnies, qui en profiteront», a-t-il signalé.

Le gouvernement s'est dit ouvert à certains amendements «techniques», mais pas à des changements de principes.

Pour venir en aide aux artistes, principalement à ceux de l'industrie de la musique qui tirent le diable par la queue, le ministre Moore n'a pas fermé la porte à un plan d'aide.

«On peut avoir (des discussions) dans les prochaines semaines et les mois qui s'en viennent sur la meilleure manière d'aider nos artistes à avoir des avancées économiques pour eux-mêmes», a noté M. Moore.

Mais la chanteuse Marie Denise Pelletier est d'avis que les artistes ne veulent pas la charité.

«On ne veut pas de fonds d'entraide, on passe encore pour des quêteux! Nous on veut notre salaire, et ces droits d'auteur, c'est notre salaire», a-t-elle martelé.

Le gouvernement espère faire adopter le projet de loi à la Chambre des communes d'ici Noël. Comme les découvertes technologiques sont exponentielles, il prévoit une révision des dispositions de la loi tous les cinq ans.