Rareté du vaste catalogue de Dvorak montée depuis plus d'un siècle un peu partout, y compris au Met, Rusalka méritait sans doute de figurer un jour à l'Opéra de Montréal. C'est chose faite. Il s'agit d'une superbe production, réalisée par l'OdM avec le Minnesota Opera et le Boston Lyric Opera, ce qui explique tous ces noms nouveaux dans la réalisation visuelle autant que dans la distribution.

Ce qu'on retient de cette interminable soirée de trois heures chantée dans l'original tchèque, et qu'allègent à peine deux entractes, c'est précisément le spectacle lui-même. Nous voici transportés dans l'univers quelque peu irréel de la petite ondine Rusalka, amoureuse d'un prince. Elle parviendra à l'épouser, mais il en mourra et Rusalka retournera à son état d'origine.

J'ai résumé. L'intrigue est tellement tirée par les cheveux qu'on renonce à s'y retrouver. Quant à la musique, sa valeur réside principalement dans l'orchestration, où Dvorak affiche son habituel métier. Pour les fameux «grands airs» qui font le succès des Verdi et Puccini, qu'on n'y pense pas, sauf pour la fameuse Romance à la lune de l'héroïne, seule page qui a fait connaître cette Rusalka. La chose dure exactement cinq minutes et passe à 19h55 exactement. On fera donc bien d'arriver à l'heure. Ce qui suit se ramène à diverses variantes de cette mélodie qui colle à l'oreille.

On comprend donc qu'avec en mains un scénario et une partition aussi peu inspirants, les interprètes ne fassent pas passer beaucoup d'électricité dans la salle - 2000 personnes à la première samedi soir. Tous donnent ici leur maximum comme acteurs et comme chanteurs. C'est-à-dire que, dans les circonstances, le résultat demeure limité.

Le hasard nous vaut une sorte de distribution «internationale»: l'Américaine Kelly Kaduce en Rusalka, le Canadien Robert Pomakov en Vodnik, Génie des eaux et père de Rusalka, le Russe Khachatur Badalyan en prince, la Polonaise Ewa Biegas en rivale de Rusalka, la Roumaine Liliana Nikiteanu en sorcière. L'aigu de la très belle et très blonde Américaine a de la puissance, le timbre du Russe séduit et le grave de la Roumaine est sonore. Les autres sont vocalement corrects, tous jouent bien, et le son du Métropolitain, harpe en tête, est adéquat.

Mais l'élément le plus fort reste ici d'ordre visuel. À cet égard, je n'ai jamais rien vu de tel en plus de 30 ans d'existence de l'Opéra de Montréal. Les effets, stroboscopiques et autres, sont innombrables et presque continuels. On va de surprise en surprise, on nous en met plein les yeux. La lune démesurée remplit presque toute la scène. En quelques secondes, un même décor devient plusieurs décors, aux bleus aquatiques absolument magnifiques. L'antre de la sorcière ressemble à un énorme et multicolore arbre de Noël. Au deuxième acte, nous voici dans le hall d'entrée de quelque luxueux immeuble d'appartements, décoré de gigantesques Google Maps, où cinq couples de danseurs nous offrent un numéro de ballroom qui n'en finit plus. Le dernier acte nous plonge en plein cinéma de science-fiction. Et j'en passe. Les costumes manquent cependant de merveilleux, surtout chez le Génie des eaux.

Reste le spectacle lui-même: 10 sur 10. Mais un spectacle ne fait pas un opéra, non plus que les bonnes intentions d'un organisme lyrique. Or, il faut bien se rendre à l'évidence: Rusalka demeure une oeuvre de seconde zone et même passablement ennuyeuse.

RUSALKA, conte lyrique en trois actes, livret de Jaroslav Kvapil d'après Karel Jaromir Erben, Bozena Nemcova, Friedrich de La Motte-Fouqué et Hans Christian Andersen, musique d'Antonin Dvorak, op. 114, B. 206 (1901).

Production: Opéra de Montréal. Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Première samedi soir. Autres représentations: 15, 17 et 19 novembre, 19h30. Avec surtitres français et anglais.

Distribution

Rusalka: Kelly Kaduce, soprano

Vodnik, le Génie des eaux, son père : Robert Pomakov, basse

Le Prince: Khachatur Badalyan, ténor

La Princesse étrangère: Ewa Biegas, soprano

La sorcière Jezibaba: Liliana Nikiteanu, mezzo-soprano

Le Chasseur: Pierre Rancourt, baryton

Les Nymphes: Chantale Nurse, soprano, Aidan Ferguson et Emma Parkinson, mezzo-sopranos

Mise en scène: Eric Simonson et Bill Murray

Décors: Erhard Rom

Costumes: Kärin Kopischke

Vidéos: Wendall K. Harrington

Éclairages: Anne-Catherine Simard-Deraspe

Choeur de l'Opéra de Montréal (dir. Claude Webster) et Orchestre Métropolitain

Direction musicale: John Keenan