Au printemps 2004, une nouvelle-choc a ébranlé le monde de la pornographie : un acteur vedette atteint du VIH avait infecté trois actrices, dont Lara Roxx, une jeune Montréalaise de 19 ans. Sept ans plus tard, Lara, qui vit et travaille à Montréal, est la vedette d'Inside Lara Roxx, un documentaire qui raconte ses hauts et ses bas avec le porno, le crack, le VIH, la bipolarité et son désir de vivre une vie normale.

Samedi soir dernier, Lara Roxx, a pris son courage à deux mains en marchant vers l'avant de la salle Cassavetes du cinéma Parallèle. La salle était remplie de visages connus dont ceux de sa mère, de sa soeur et de son nouvel amoureux. Ne manquait que son père, qui vit en Italie, à cette petite confrérie intime et familiale venue assister à l'avant-première montréalaise d'Inside Lara Roxx, documentaire cru, signé Mia Donovan, tourné sur une période de cinq ans, quand fraîchement infectée du VIH, Lara cherchait un sens à sa vie et avait toutes les difficultés du monde à le trouver.

Ce n'était pas la première fois que Lara présentait ce film qui la montre souvent à son plus bas, en psychiatrie, gelée au crack ou désillusionnée par les hommes et par l'irresponsabilité du milieu du porno. Mais c'était la première fois qu'elle le présentait chez elle à Montréal, devant les siens. La première fois en somme que la mise à nu rendait nerveuse celle qui a été escorte, danseuse nue et actrice porno.

Fragile

Pourtant, deux jours plus tard, quand elle se pointe dans l'immense entrepôt blanc et bordélique des films Eyesteel, rue Marconi dans la Petite Italie, Lara n'évoque pas son émoi du samedi soir, mais plutôt sa déception. «La salle à Montréal n'était même pas pleine, dit-elle. Et ce n'était pas une grande salle! À Toronto, quand on a présenté le film aux Hot Docs, il n'y avait pas un des 850 sièges de libre. Alors oui, j'étais déçue, mais en même temps contente de la réaction de mon chum. J'avais peur qu'il me haïsse à la fin du film. Mais il m'a dit qu'au contraire, le film lui a fait réaliser à quel point il m'aimait et à quel point j'étais une petite fille fragile.»

Fragile, le mot convient bien à cette jeune femme d'à peine 30 ans, qui parle d'abondance, s'exprime dans un excellent français tout en parlant couramment anglais, et qui est partie sur un coup de tête à Los Angeles, pour faire du cash, vite. Au bout de deux mois, elle est revenue les poches vides et le virus du VIH dans son sang. Fragile, cette fille tout droit sortie d'un tableau de Modigliani avec son visage en couteau et ses grands yeux noirs et tristes, mais qui, en même temps, par un étrange paradoxe, dégage une grande force de caractère doublée d'un bon sens de l'humour et d'une résilience à toute épreuve.

Pas étonnant qu'elle ait pris le nom de Lara Roxx, en hommage à Lara Croft, l'aventurière héroïque du cinéma et de la BD, qu'elle admire. Il y a quelque chose d'invincible chez cette fille qui a traversé le pire, connu la dèche, la maladie morale et physique et qui en parle avec candeur et détachement. «On est comme ça dans ma famille, plaide Lara. J'ai un oncle qui faisait des blagues tout le temps. Plus ça allait mal, plus il était drôle. J'ai appris des années plus tard qu'il était héroïnomane. Je pense que dans ma famille, on se sert de l'humour pour mettre un peu de légèreté dans nos drames.»

Faire du cash et vite

Née et élevée à Laval, d'un père marocain et d'une mère française, Lara était une enfant agitée, turbulente, incontrôlable. À l'adolescence, ses parents, incapables de gérer ses écarts de conduite, la placent en centre d'accueil. Sans succès. Lara quitte l'école en Ve secondaire, avec le but avoué de «faire plus de cash que son père et en moins de temps».

Elle danse nue avant de devenir escorte pour Bob qui lui refile ses clients au Reine Elizabeth. Puis, quand le réseau de Bob est démantelé, Lara, qui cherche une «avancée d'affaires», fait le calcul suivant: à Montréal pour gagner 1000$, elle doit faire huit clients. À Los Angeles, la capitale du porno, elle peut faire le double ou le triple de fric en tournant un ou deux films par jour.

«Ma mère m'avait toujours dit qu'il n'y a pas de sot métier. Alors, je suis partie à L.A. en me disant que j'allais me ramasser 30 000$ en quelques mois et rentrer à Montréal m'acheter un condo et une auto. Évidemment, ce n'est pas comme ça que les choses se sont passées. J'ai fait de l'argent, mais je l'ai dépensé aussi vite. J'étais très superficielle. Je ne vivais que pour mon bronzage, mes ongles, mes vêtements. Je me mettais belle pour travailler et je travaillais pour être belle, ça n'avait aucun sens.»

Franchise brutale

Dans Inside Lara Roxx, on voit la fameuse scène que Lara a tournée avec Darren James, l'acteur qui l'a infectée pendant une scène de double pénétration anale sans condom. On la voit aussi donner des entrevues à Diane Sawyer d'ABC ou sur le plateau du Maury Povich Show, où elle clame qu'elle a fait confiance à tort à l'industrie du porno, convaincue que c'était un milieu de travail clean et responsable.

En 2004, Lara et son VIH ont connu leurs 15 minutes de gloire à la télé. L'onde de choc avait forcé la fermeture de toutes les productions pornos. Lara était la seule victime prête à témoigner à visage découvert et à le faire avec éloquence. Puis, l'émoi s'est émoussé et Lara s'est retrouvée seule, en dépression et malade.

En 2007, avec la réalisatrice montréalaise Mia Donovan, Lara est retournée voir ses anciens camarades de guerre à Los Angeles. Elle retrouve notamment Sharon Mitchell, ex-actrice porno devenue médecin et directrice du centre de dépistage AIM (Adult Industry Medical) qui lui a appris la mauvaise nouvelle, et deux amies du porno, une qui a toujours refusé de tourner sans condom et l'autre qui a été infectée en même temps qu'elle.

Avec une franchise à la fois lucide et brutale, Lara nous ouvre une fenêtre sur un milieu glauque et faussement libéré où le fric justifie tous les excès et tous les risques. Ce voyage dans les entrailles d'une industrie qui génère des milliards en profits en exploitant et en spoliant le corps des femmes n'est pas agréable, mais il a le mérite de dire et de montrer les choses telles qu'elles sont. Impossible, après avoir vu Inside Lara Roxx, d'entretenir le moindre romantisme, financier ou sociologique à l'égard de l'industrie porno, et cela même si on est une jeune fille de 18 ans, pressée de faire du fric.

Vie normale

Aujourd'hui, à 28 ans, Lara tente de reprendre le fil d'une vie normale. Elle ne consomme plus de crack, n'entretient plus le moindre lien avec le monde du porno et gagne sa vie en travaillant dans un centre d'appels de 2 h du matin à 10 h. La Fondation Lara Roxx qu'elle a mise sur pied pour venir en aide aux femmes atteintes du VIH ne roule pas encore rondement, mais une association avec un organisme établi pourrait corriger le tir.

«L'important, c'est de montrer aux gens que le VIH n'est pas une affaire honteuse qu'on doit cacher à la société. C'est pas le fund'avoir le VIH, mais ce n'est pas la fin du monde ni la fin de la vie non plus», dit-elle.

Lara rêve de produire une affiche, façon Facebook avec mille profils sans visages au milieu desquels trôneraient seulement cinq ou six porteurs du VIH qui ont accepté de montrer leur visage, pour marquer l'énorme travail de conscientisation qui reste à faire. Elle rêve aussi de se marier et de vivre dans un bungalow à Laval, avec un mari, un chien et trois ou quatre enfants qui courent autour de la piscine. Pour certains, c'est un projet d'un conformisme absolu. Pour Lara, c'est la preuve qu'une vie normale, tranquille et sans drame est encore possible.