C'est l'omerta dans la communauté artistique à l'approche du budget fédéral et de ses coupes appréhendées. Pas de moyens de pression ou de sorties publiques à l'horizon. Des organismes refusent même d'accorder des entrevues sur la question. Pourquoi? «On a trop peur des représailles», confient ceux qui acceptent de parler.

Ce n'est pas un secret: les artistes craignent le budget que déposera le gouvernement Harper jeudi. Radio-Canada risque notamment d'écoper. Le Conseil des arts et des lettres et Téléfilm Canada aussi. Même si le ministre Moore promet de maintenir l'aide aux artistes en se limitant à sabrer la bureaucratie, le milieu s'inquiète. Pourtant, rares sont ceux qui le diront tout haut. Vous verrez les artistes dans la rue pour les étudiants ou l'environnement. Contre les coupures, non.

«Chaque fois qu'un groupe se mobilise, le gouvernement lui tape dessus. Alors les gens ne veulent plus rien dire en espérant qu'ils ne seront pas trop touchés, dit le président de l'Union des artistes, Raymond Legault. Avec ce gouvernement, ça ne sert à rien de manifester, déplore-t-il. Une fois qu'il décide quelque chose, il ne bouge plus.» Si M. Legault parle aussi librement, c'est que son organisme n'est pas directement financé par le fédéral.

»La peur est bien réelle»

D'autres sont moins loquaces. Théâtres, orchestres et troupes de danse refusent de parler. «On est dans une position délicate», explique une porte-parole de la Conférence internationale des arts de la scène (CINARS). Visiblement mal à l'aise, elle a décliné notre demande d'entrevue. Son organisme est pourtant habitué de monter au front. Il a fait beaucoup de bruit, en 2010, en publiant une étude sur les impacts négatifs de l'abolition de programmes fédéraux destinés aux arts. L'année suivante, la CINARS a perdu une partie de sa subvention. Les gens du milieu y voient plus qu'une coïncidence.

«La peur est bien réelle, affirme le président du Mouvement pour les arts et les lettres (MAL), l'auteur Stanley Péan. On a affaire à un gouvernement qui fonctionne à la rancoeur», clame-t-il. Lui aussi avoue redouter les foudres du gouvernement conservateur, jeudi. La cible présumée: le Festival international de la littérature (FIL), dont il est président et qui s'est fait amputer le tiers de sa subvention l'an dernier, soit 35 000dollars. «On a beaucoup chialé après ça, même si les gens nous disaient de nous la fermer. On va sûrement payer au prochain budget», dit-il.

Peu d'attentes

Le milieu artistique est sombre à l'approche de la date fatidique. «Disons que nos attentes ne sont pas très grandes. On a demandé au gouvernement de ne pas couper. On attend de voir s'il va nous écouter», dit la directrice générale adjointe de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec, Brigitte Doucet.

«Selon les rumeurs, il y aura des coupures, ajoute la directrice générale du Conseil québécois du théâtre, Hélène Nadeau. Je ne lis pas l'avenir, mais, avec la tendance de ce gouvernement à pénaliser le milieu de la culture...» Le ministre a prévenu que son budget pourrait contenir des coupes dans certains programmes, sans préciser lesquels.

Dans un courriel envoyé à La Presse, une conseillère en relation avec les médias du ministère du Patrimoine canadien assure que le gouvernement «sait à quel point les arts et la culture sont essentiels à notre société, à notre identité et à notre économie». «Les demandes de financement sont évaluées en fonction des objectifs du gouvernement, soit de financer des projets identifiant et offrant des résultats mesurables et tangibles, en accord avec les objectifs des programmes; d'investir les fonds publics de façon judicieuse», écrit-elle. «Mais si on veut atteindre le déficit zéro, tout le monde doit faire sa part», dit l'attaché de presse du ministre James Moore, Sébastien Gariépy.