Ça fait 67 ans et chaque fois, la même question : pourquoi regarder Eurovision ? Pourquoi s’intéresser à ce concours de chanson ultra-kitsch, avec sa flopée de chanteurs oubliables et de performances flamboyantes qui font mal aux yeux ? Réponse courte : parce que c’est spectaculaire, exotique et parfois même politique. À noter que le public québécois a deux autres raisons de visionner cette année ce feu d’artifice télévisuel, dont la grande finale a lieu samedi : la compétition s’ouvre pour la première fois au vote international, et c’est une artiste de Montréal, La Zarra, qui représentera la France.

Qui suivre ?

Extrait de Tattoo de Loreen

Trente-six pays sont en compétition cette année. Vingt-six d’entre eux se retrouveront en finale le samedi 13 mai, après les demi-finales prévues les 9 et 11 mai. Qui suivre ? Il y a sans doute autant de réponses que d’artistes. Mais insistons sur la Suédoise Loreen, gagnante en 2012, qui pourrait être la seconde artiste de l’histoire à remporter deux fois le concours avec sa chanson Tattoo. « Ce serait énorme », résume William Lee Adams, fondateur du Wiwibloggs consacré à Eurovision et auteur du livre Wild Dances : My Queer and Curious Journey to Eurovision, à paraître le 9 mai. À suivre également : la Finlande, avec une chanson électro sur l’anxiété sociale (Cha Cha cha, par Käärijä), ainsi que la Pologne (Blanka, Solo, dont on dit déjà le plus grand mal). « C’est très kitsch et elle ne semble pas être une très bonne chanteuse », lance Paul Jordan, auteur du blogue DEurovision et ancien agent de communications pour l’entreprise.

Extrait de Solo de Blanka

Regardez le clip de la chanson Solo, de Blanka
Regardez la performance de Käärijä Consultez le blogue DEurovision

Un tremplin

PHOTO TT NEWS AGENCY, ARCHIVES REUTERS

Le groupe ABBA en 1974, année de sa victoire au concours Eurovision

L’histoire d’ABBA est connue. C’est après avoir interprété Waterloo à Eurovision, en 1974, que le groupe suédois a été propulsé en orbite. Mais son cas n’est pas unique. D’autres artistes, comme Céline Dion (1988), France Gall (1965), Julio Iglesias (1970), l’Italienne Gigliola Cinquetti (1964) et les Italiens Måneskin (2021) ont tous lancé leur carrière internationale grâce au concours. Idem pour la chanson Volare, qui est devenue un supertube aux États-Unis après avoir été « inaugurée » à Eurovision 1958. Dans la plupart des cas, cependant, l’aventure reste sans suite, beaucoup d’artistes retombant dans l’oubli ou se contentant de faire carrière dans leur pays d’origine.

La politique

PHOTO PAUL ELLIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Un rossignol – oiseau national de l’Ukraine – est illuminé à Liverpool en prévision de la finale de l’Eurovision.

Officiellement, Eurovision se veut apolitique. Dans les faits, c’est tout le contraire. Depuis sa création, le concours n’a cessé d’être utilisé comme plateforme engagée. En 1969, l’Autriche a refusé de participer au concours organisé à Madrid à cause de la dictature franquiste. En 1976, la Grèce s’est retirée du concours pour protester contre l’invasion de Chypre par la Turquie. En 2009, la Géorgie a été disqualifiée pour avoir chanté We Don’t Wanna Put In (« On ne veut pas en tenir compte »), charge à peine déguisée contre le président russe qui venait d’envahir l’Ossétie. En 2019, les concurrents islandais se sont affichés avec des drapeaux palestiniens, alors que le concours se tenait à Tel-Aviv – méchante provoc. L’an dernier, l’Ukraine l’a emporté, pour les raisons que l’on sait. Sans oublier les nombreuses performances queer, destinées à faire avancer la cause LGBTQ+.

Les experts s’attendent à moins de coups d’éclat cette année. « Le fait que la Russie ne soit pas là va sans doute limiter les prises de position », estime Paul Jordan. Que le concours ait été déplacé à Liverpool au lieu de Kyiv (l’évènement se tient en principe dans le pays qui a gagné l’année précédente) est en soi politique, nuance-t-il. On suivra quand même la Croatie avec Mama SC !, du groupe Let 3, une chanson sur les tracteurs interprétée par des dictateurs de pacotille, clin d’œil « très explicite » au dirigeant biélorusse Alexandre Loukachenko, selon William Lee Adams. Dans un registre plus social, le groupe tchèque Vesna proposera une chanson sur l’égalité des sexes (My Sister’s Crown), avec une saveur d’Europe de l’Est prononcée.

Regardez la performance de Let 3 Regardez le clip de la chanson My Sister’s Crown du groupe Vesna

Comment ça marche ?

PHOTO PHIL NOBLE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le roi Charles III et Camilla, reine consort, posent aux côtés des animateurs du concours cette année, Scott Mills, Hannah Waddingham, Julia Sanina et Rylan Clark, lors d’une visite des lieux où se tiendra l’évènement, à Liverpool.

Eurovision, c’est un peu la Coupe d’Europe de soccer, version chanson de variétés. Chaque pays participant délègue un candidat qui le représentera. L’artiste pousse la note, avec moult visuels de préférence, car rappelons-le : Eurovision est un spectacle conçu par et pour la télé ! La performance des chanteurs est ensuite notée par une poignée de juges de chaque pays (généralement des pros de l’industrie) ainsi que par le grand public, qui peut voter par téléphone, par texto ou sur une application. Les meilleurs scores tournent généralement autour de 300 points. Certains artistes peuvent aussi récolter « nul point » (zéro), ce qui est considéré comme la honte suprême… ou comme une grande fierté, selon leur sens de l’humour. Le concours est organisé par l’Union des diffuseurs européens (EBU) et les artistes sont choisis par la chaîne publique de chaque pays, au terme d’une ronde préliminaire nationale ou de sélections derrière des portes closes.

Un vote international

Extrait d’Évidemment de La Zarra

Pour la toute première fois cette année, le vote populaire ne se limite plus à l’Europe. Le public international aura aussi voix au chapitre, son vote représentant l’équivalent d’un 37pays participant. Non négligeable pour les Québécois, qui pourraient vouloir voter pour la Montréalaise La Zarra, représentante de la France. William Lee Adams suggère toutefois que cette ouverture avantagera surtout la candidate espagnole « parce que toute l’Amérique latine va se mettre derrière elle ».

Pour Paul Jordan, il est évident que ce nouveau règlement est motivé par les ambitions mondialistes du concours. « Officiellement, leur slogan est que nous sommes tous unis. Mais la part de cynisme en moi me fait dire qu’ils essaient surtout de promouvoir le spectacle internationalement », dit-il. Des tentatives d’expansion ont d’ailleurs eu lieu, quoiqu’avec peu de succès. En 2022, le réseau NBC a présenté l’American Song Contest, mais l’expérience n’a pas été renouvelée. Le Canada devait tenir sa propre version en 2023, mais le projet semble avoir été mis sur la glace. Idem pour la version sud-américaine, qui n’a toujours pas été annoncée officiellement. « Peut-être qu’en multipliant des franchises, nous aurons des compétitions internationales à l’avenir », conclut William Lee Adams. Une Coupe du monde de la chanson ? Et pourquoi pas !

Pour voter, on peut télécharger l’application Eurovision ou se rendre directement sur le site.

Consultez le site d’Eurovision