Deux conflits de travail simultanés paralysent la production de séries télé et de films américains cet été. Le premier, impliquant le syndicat des auteurs (WGA), a débuté le 2 mai. Le second, mettant en cause le syndicat des acteurs (SAG-AFTRA), s’est amorcé le 14 juillet. La Presse décortique ces grèves en quatre questions.

Pourquoi tous ces travailleurs sont-ils entrés en grève ?

Comme les auteurs, les comédiens ont choisi de débrayer pour forcer l’Alliance des producteurs de cinéma et de télévision (AMPTP), qui représente les grands studios (Disney, Sony, Paramount, Universal, Warner Bros.), les plateformes de visionnement en ligne (Netflix, Apple TV+, Prime Video) et l’ensemble des chaînes généralistes (ABC, CBS, FOX, NBC) à revoir leurs façons de faire. L’un des points au cœur du litige concerne les redevances pour l’exploitation des œuvres audiovisuelles (séries et films) sur l’internet. Auteurs et acteurs estiment qu’ils n’ont pas profité de l’explosion des plateformes de visionnement des dernières années. « Le numérique a pris beaucoup d’importance ; le système doit s’adapter, explique Pauline Halpern, directrice générale de la Société des auteurs de radio, télévision et cinéma (SARTEC), le syndicat canadien des scénaristes de langue française. Ce qui était autrefois considéré comme une exploitation secondaire par rapport aux autres modes d’exploitation [télé et cinéma] est aujourd’hui central. »

Pourquoi les acteurs hollywoodiens font-ils la grève, quand on sait qu’ils gagnent déjà beaucoup d’argent ?

Contrairement à Tom Cruise, Dwayne « The Rock » Johnson, Jennifer Lawrence et compagnie, la plupart des comédiens américains n’empochent pas 20 millions de dollars par projet. Une infime partie roule sur l’or, souligne Christian Lemay, président de l’AQTIS 514 IATSE, le syndicat des techniciens québécois. « Oui, il y a Brad Pitt, Angelina Jolie, George Clooney et Julia Roberts. Tout le monde les connaît. Mais ce n’est pas eux qui font la grève. Ils appuient les revendications d’une multitude de gens ordinaires qui passent leur carrière à jouer des deuxièmes rôles, des troisièmes rôles… C’est du vrai monde. »

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Le président de l’Association québécoise des techniciens et techniciennes de l’image et du son, Christian Lemay

Pour être couvert par l’assurance maladie du syndicat, un acteur doit empocher au minimum 26 470 $ US par année. Selon SAG-AFTRA, seulement 12,7 % de ses membres se qualifient pour obtenir cette couverture. Cette statistique fait écho au récent discours de Fran Drescher, présidente du syndicat. Durant une allocution, l’actrice a expliqué qu’une « vaste majorité des 160 000 membres de SAG-AFTRA [étaient] de « simples ouvriers » qui essaient de gagner assez d’argent pour payer leur loyer, manger et envoyer leurs enfants à l’école ».

L’intelligence artificielle (IA) compte parmi les points en négociation. Pourquoi cette technologie effraie-t-elle les acteurs et les auteurs ?

Les membres des deux syndicats craignent d’être éventuellement « remplacés » par l’intelligence artificielle. Par exemple, un auteur pourrait écrire la première saison d’une série pour ensuite la « perdre » aux dépens d’une machine qui concocterait les saisons subséquentes. L’auteure Chantal Cadieux, qui préside la SARTEC, comprend cette inquiétude, puisqu’elle tenaille de nombreuses personnes de l’industrie au Québec, souligne-t-elle. « Il faut encadrer ça. Il faut qu’il y ait des balises claires. On ne peut pas fermer les yeux. On ne peut pas se dire que ça n’existera plus dans cinq ans. » La réaction des acteurs et auteurs américains n’étonne pas Philippe Goulet Coulombe, professeur du département des sciences économiques de l’UQAM. « C’est normal qu’ils voient ça comme une menace. Dans n’importe quel secteur d’activité, quand arrive une avancée technologique majeure qui pourrait remplacer les travailleurs, ça crée une opposition. Il s’est passé la même chose quand Uber est arrivé à Montréal ; les chauffeurs de taxi ont réagi. »

Combien de temps ces grèves vont-elles durer ?

Difficile à dire. On nous montre beaucoup d’images d’acteurs et d’auteurs qui font du piquetage devant les bureaux de Netflix et compagnie aux États-Unis, mais on sait bien peu de choses sur les pourparlers. Selon Pierre Barrette, directeur de l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, le conflit pourrait durer « longtemps ». « Trouver une entente avec laquelle tout le monde est d’accord s’annonce difficile. Ce n’est pas comme s’il y avait un côté qui était très riche et l’autre, très pauvre. Les deux parties en arrachent. Les majors voient leurs revenus diminuer considérablement depuis quelque temps. Dans les années 1980, on disait des grandes chaînes de télévision traditionnelle qu’elles étaient comme des arbres à faire pousser de l’argent. Ce n’est plus le cas. »

Pour sa part, Christian Lemay, de l’AQTIS 514 IATSE, ne croit pas qu’une résolution du conflit aura lieu avant la fin de l’année. « Pour le Québec, ce qui est positif, c’est qu’une fois le conflit réglé, les tournages américains vont revenir en grand nombre. Il va falloir s’assurer d’être attractif sur le plan de notre offre de services, de notre crédit d’impôt. C’est un message que j’envoie : notre industrie doit embrasser la croissance. Il faut qu’on puisse accueillir ces productions américaines. »