Les actrices Susan Sarandon et Melissa Barrera ont subi cette semaine de lourdes conséquences sur leur carrière après avoir exprimé publiquement leur soutien à la Palestine. Plus qu’un souci de divergence d’opinions, cette « censure » à Hollywood crée un précédent alarmant, selon un expert.

Deux déclarations, deux renvois

L’actrice Susan Sarandon a été lâchée par son agence, United Talent Agency (UTA), après avoir participé à une manifestation pro-Palestine et avoir tenu des propos controversés, partagés en ligne. « Il y a beaucoup de gens qui ont peur, qui ont peur d’être juifs en ce moment, et qui ont un avant-goût de ce que l’on ressent quand on est musulman dans ce pays », a déclaré l’Américaine dans une vidéo captée par le New York Post, publiée la semaine précédente. On a appris mardi que la gagnante d’un Oscar pour son rôle dans Dead Man Walking perdait alors le soutien de UTA, l’une des plus grandes agences d’Hollywood, dont elle est la cliente depuis 2014. Le même jour, l’actrice mexicaine Melissa Barrera a été écartée de la production du film Scream 7, dans lequel elle devait tenir l’un des rôles principaux. La maison de production Spyglass l’a renvoyée et a déclaré dans les médias n’avoir « aucune tolérance pour l’antisémitisme ou l’incitation à la haine ». La décision faisait suite à une publication sur Instagram de Barrera où elle a écrit : « Gaza est comme un camp de concentration. Tout le monde est rassemblé là-bas, sans électricité et sans eau. Les gens n’ont rien appris de notre histoire. Les gens continuent d’observer tranquillement, en marge. C’est un génocide et un nettoyage ethnique. »

PHOTO EVAN AGOSTINI, ASSOCIATED PRESS

Melissa Barrera et Susan Sarandon

« Rigidité idéologique »

Alors que les bombes pleuvent sur Gaza, ayant fait une dizaine de milliers de morts palestiniens depuis l’attaque sanglante du Hamas contre Israël au début du mois d’octobre, l’Occident se déchire quant à ses allégeances. Dans ce contexte, le poids des mots pour aborder le conflit semble plus lourd que jamais pour les personnalités publiques, constate Barry Eidlin, professeur de sociologie à l’Université McGill, spécialisé dans l’étude des mouvements sociaux et des inégalités. « Le fait que ce soit des comédiennes connues qui subissent ces conséquences, ça envoie un message plus grand encore qui dit qu’on ne peut pas parler de ça, dit-il. On a le droit à la liberté de parole, mais il faut assumer les conséquences de nos propos. » Pour lui, une « rigidité idéologique » s’installe dans l’industrie hollywoodienne. « Pourtant, il n’est même pas vraiment question d’idéologie, ajoute-t-il. C’est une cause que certains défendent et pour laquelle ils subissent des conséquences sur leur carrière. Il n’y a pourtant pas eu d’appel à la violence. »

Deux poids, deux mesures ?

PHOTO SARKA VANCUROVA, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Amy Schumer

« Il y a un traitement inégal des propos, selon le côté du conflit où on se trouve, estime Barry Eidlin. Selon lui, le patronat à Hollywood prend parti du côté israélien et utilise son pouvoir pour infliger des conséquences néfastes à ceux qui osent prendre parti pour les Palestiniens. » Quelque 700 figures hollywoodiennes ont signé une lettre en appui à Israël au mois d’octobre. La comédienne Amy Schumer s’est attiré les foudres de nombreux internautes après des publications jugées islamophobes, dans sa tentative d’exprimer son soutien envers le peuple israélien. Aux yeux du professeur de l’Université McGill, on ne se trouve pas face à des cas de censure « hors la loi » pour ce qui est des cas de Susan Sarandon et de Melissa Barrera, mais plutôt sur le plan social. « On veut désactiver la tentative d’un groupe d’avancer des propos avec lesquels on n’est pas d’accord », résume-t-il. « Il y a un aspect politique et le message est qu’on ne peut pas parler de ces choses-là. »

Des conséquences tangibles

Le risque que des déclarations de soutien envers le peuple palestinien deviennent des motifs de renvoi menace de provoquer une peur de s’exprimer à Hollywood. Déjà au mois d’octobre, Maha Dakhil, l’une des patronnes de l’agence CAA, qui représente notamment Tom Cruise et Nathalie Portman, avait quitté son rôle de gestionnaire après une publication sur Instagram où on pouvait lire : « Vous être en train d’apprendre qui appuie un génocide ». Elle avait ensuite présenté ses excuses et souligné que le choix des mots était important. Barry Eidlin fait un lien avec la période de la Peur rouge, à l’époque du maccarthysme, où la crainte du communisme restreignait la liberté d’expression et faisait craindre aux citoyens de prendre la parole, sous peine de répercussions désastreuses. Une dynamique qui semble à l’œuvre aujourd’hui, à moindre échelle, affirme le professeur, alors que la prise de position à Hollywood engendre des pertes d’emplois.