Le bras de fer entre un galeriste en défaut de paiement et son propriétaire tire à sa fin. Les quelque 1000 œuvres qui se trouvent à l’intérieur de la galerie Le HangArt, verrouillée au début du mois par le propriétaire de l’immeuble de la rue Saint-Paul, seront restituées aux artistes à partir de cette semaine, a appris La Presse.

« Mon intention est de faire en sorte que tout le monde récupère ses biens », nous a confié le propriétaire de l’immeuble, qui a souhaité garder l’anonymat pour ne pas être associé au galeriste Hervé Garcia. Un début de dénouement pour plus de 130 artistes qui ont confié leurs œuvres au HangArt.

Hervé Garcia, qui n’avait plus accès à sa galerie depuis le 2 janvier, s’est entendu avec son propriétaire dimanche pour qu’il puisse coordonner la remise des œuvres aux artistes, dont environ 80 sont maintenant représentés par MMarc Vaillancourt.

M. Garcia aura accès à la galerie pour une période de 30 jours, il devra ensuite libérer le local, a précisé le propriétaire.

Angoissant début d’année

On peut dire que l’année a mal commencé pour les artistes visuels qui font affaire avec cette galerie établie dans le Vieux-Montréal depuis septembre dernier.

« La galerie HangArt a fermé ses portes et on essaie de récupérer nos toiles ! », a écrit Josée St-Amant sur sa page Facebook le 9 janvier. Elle venait de recevoir un courriel du galeriste Hervé Garcia disant que le propriétaire avait changé les serrures de l’immeuble. Au même moment, la galerie HangArt de Québec fermait elle aussi ses portes.

« Malgré que nous soyons à jour [dans le paiement] de nos loyers, et qu’il détient un loyer d’avance, il a choisi cette option plutôt que le dialogue », a écrit le galeriste dans ce courriel daté du 2 janvier que La Presse a consulté.

Faux, rétorque le propriétaire. « M. Garcia et sa femme Julie Plouffe ont signé un bail commercial à long terme au mois d’août dernier afin d’y établir leur galerie d’art, a-t-il expliqué à La Presse. Ils ont profité d’un congé de loyer pendant les premiers mois, mais devaient faire un premier dépôt au mois de décembre dernier. »

Selon le propriétaire, le 1er janvier, Hervé Garcia l’a avisé qu’il ne paierait pas son loyer. C’est à ce moment-là qu’il a changé les serrures de la galerie.

Dans un deuxième courriel envoyé aux artistes de la galerie le 7 janvier – que La Presse a également pu consulter –, Hervé Garcia explique qu’il a annoncé son intention de « vendre la galerie à un groupe d’investisseurs », mais que le propriétaire « a choisi de nous considérer en défaut et de briser notre bail afin de vendre sa bâtisse ».

Le propriétaire a précisé que l’immeuble est à vendre depuis trois ans. Quant à l’intention de M. Garcia de « vendre sa business », il se souvient très bien d’en avoir parlé avec lui dès le mois de décembre. « On aurait été ravis qu’il y ait un repreneur, répond-il, et on le lui a dit, mais il ne s’est rien passé. S’il était sérieux, il l’aurait fait, rien ne l’empêchait, on voyait ça d’un bon œil. »

Depuis, Hervé Garcia a laissé entendre qu’il était en faillite. Dans un courriel non signé envoyé au journal Le Devoir, Le HangArt a écrit : « Nous sommes une entreprise comme tant d’autres qui s’effondre dans un climat économique difficile. Nous sommes en faillite corporative et personnelle. »

Mais après vérification auprès du Bureau du surintendant des faillites – en date de vendredi dernier –, ni la galerie Le HangArt ni ses associés Hervé Garcia et Julie Plouffe ne figuraient au registre des faillites commerciales ou personnelles au moment d’écrire ces lignes.

La Presse a tenté de joindre M. Garcia, mais ses deux numéros de téléphone et son courriel professionnel sont maintenant hors service. Le propriétaire, qui est en contact avec lui par une nouvelle adresse courriel, a refusé de divulguer ses coordonnées pour des raisons de confidentialité.

Pas la première fois

Hervé Garcia n’en est pas à ses premiers démêlés avec ses propriétaires. Selon des documents judiciaires, au mois d’avril 2021, il a signé un bail d’un peu plus de trois ans avec Ata Saati, propriétaire du 233, rue Notre-Dame Ouest, qui a abrité la galerie HangArt jusqu’à l’été dernier. Il a finalement quitté les lieux après avoir été poursuivi pour défauts de paiement de loyer.

Le propriétaire du bâtiment de la rue Saint-Paul regrette la situation vécue par les artistes, mais il assure qu’il n’avait pas le choix. « Moi, je suis un propriétaire d’immeuble. Si un locataire ne paie pas son loyer ou ne respecte pas les conditions de son bail, normalement, tout ce qui est dedans est saisissable. »

Désemparés, les artistes se sont tournés vers le Regroupement des artistes en arts visuels (RAAV), qui leur a suggéré de se trouver un avocat. Ce qui a été fait la semaine dernière avec l’embauche de MMarc Vaillancourt.

Mon premier mandat est de coordonner la remise des toiles qui se trouvent dans la galerie. Parce qu’ils doivent fournir une preuve de propriété. Mon deuxième mandat sera de récupérer les sommes dues aux artistes pour les toiles qui ont été vendues ; et mon troisième mandat sera de récupérer les sommes que certains artistes ont investies pour obtenir des parts dans la galerie.

MMarc Vaillancourt

« Ça va faire avancer les choses, nous dit le propriétaire de l’immeuble. Moi, mon but est de restituer les œuvres aux artistes pour pouvoir louer le local à quelqu’un d’autre. Mais ça prenait un cadre légal pour le faire, pour que je puisse agir au nom de la galerie Le HangArt, parce que les artistes ont un contrat légal avec la galerie. M. Garcia va pouvoir commencer à faire ça cette semaine en se coordonnant avec MVaillancourt. »

Un modèle d’affaires inusité

Le modèle d’affaires de cette galerie d’art est pour le moins inhabituel. Contrairement à la majorité des galeries d’art qui choisissent les artistes qu’elles veulent représenter et qui prennent une commission de 50 % sur les revenus découlant de la vente des œuvres, Le HangArt ne réclame que 30 % des revenus de ventes, mais exige une somme forfaitaire pour consigner les œuvres.

Josée St-Amant, par exemple, a payé une somme de 1000 $ pour un an en échange de cinq de ses tableaux. Ces tarifs ne sont pas les mêmes pour chacun. Dans certains cas, c’est 30 $ par mois, par toile, qui est exigé, soit 360 $ par année, par œuvre. Dans d’autres cas, c’est moins, en fonction des artistes, mais aussi de leurs œuvres.

« Ce modèle-là me convient », nous dit Josée St-Amant, une artiste autodidacte qui a commencé à peindre une fois à la retraite, après avoir mené une carrière d’informaticienne. « Je ne suis pas une artiste connue, je n’ai pas de formation et je peins des nus, qui ne sont pas des tableaux qui se vendent facilement, donc je pense que ce type de galerie donne la chance à toutes sortes d’artistes de vendre leurs toiles. »

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE JOSÉE ST-AMANT

L’artiste Josée St-Amant dans son atelier de la rue de Port-Royal

Une dizaine d’artistes ont en outre été invités à investir dans la galerie afin d’obtenir des parts. C’est le cas de Vanessa Vaillant, qui a investi 5000 $ en échange de 0,5 % des bénéfices de la galerie au mois de novembre 2022. Des bénéfices qui, selon elle, ne lui ont jamais été versés.

« J’ai écrit plusieurs fois à M. Garcia, mais il ne m’a jamais répondu », explique-t-elle. Elle a récupéré six de ses toiles au HangArt de Québec, vendredi dernier, et attend le dénouement de cette affaire pour retrouver les 24 toiles enfermées dans la galerie de Montréal.

« Moi, ce que je veux savoir, nous dit-elle, c’est il est où, l’argent ? Parce qu’il n’a pas payé de loyer, il a reçu des sommes d’argent mensuelles et annuelles des artistes pour qu’ils puissent exposer leurs œuvres, mais il a aussi reçu entre 1000 et 10 000 $ de la part d’une dizaine d’artistes qui ont investi dans sa galerie dans l’espoir d’avoir un pourcentage des bénéfices, sans compter la vente des œuvres, donc il est où, tout cet argent ? »

En attendant, ces artistes doivent payer l’avocat qui les représente. Ils se sont regroupés pour partager les frais et viennent de lancer une campagne de financement GoFundMe, notamment pour retourner les œuvres aux artistes qui se trouvent à Toronto et en France.