La saga entourant la fermeture de la galerie montréalaise Le HangArt – et de toutes ses franchises canadiennes – a rappelé de bien mauvais souvenirs à des auteurs ayant eu maille à partir avec le galeriste Hervé Garcia, qui s’était lancé dans le monde de l’édition en 2006 dans la région de Québec.

La Presse a raconté la semaine dernière le bras de fer entre le galeriste de la rue Saint-Paul, dans le Vieux-Montréal, et le propriétaire de son immeuble, ainsi que sa relation tendue avec certains artistes qui réclamaient leur part de la vente de leurs œuvres ou encore le dépôt exigé pour consigner leurs œuvres dans la galerie. À la suite de la publication de cet article, plusieurs auteurs se sont manifestés.

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Parmi eux, Marcel Levasseur, qui a publié le premier tome de sa série BD Laflèche, Fort Nécessité aux éditions Arion, en 2006.

« [Hervé Garcia] demandait aux auteurs de participer aux frais d’impression de leurs livres. De plus, il ne nous remettait pas les droits d’auteur auxquels nous avions droit, nous a dit Marcel Levasseur. Et puis, un jour, il est disparu sans laisser de traces, emportant avec lui des centaines d’exemplaires de nos œuvres et empochant une bonne partie de notre argent. » M. Levasseur estime ses pertes à environ 2000 $.

Selon le Registre des entreprises du Québec, Hervé Garcia a mis la main sur la maison d’édition Arion en 2006. Il n’est resté à la tête d’Arion qu’environ un an, même si l’entreprise a été officiellement dissoute en 2021. Au moins six auteurs qui ont fait affaire avec lui, et avec qui La Presse a parlé, estiment avoir été floués par l’entrepreneur d’origine française.

Rencontré à la galerie Le HangArt, où il s’affairait à remettre les toiles aux artistes qui avaient consigné leurs œuvres chez lui, Hervé Garcia a rejeté tout parallèle entre son bref passé d’éditeur et la situation actuelle.

Pourquoi on parle de ça ? Pour montrer que le processus se reproduit ? Moi, j’ai racheté une maison d’édition qui publiait 140 livres par année, donc quand je suis arrivé, je ne recevais que des retours de livres [invendus] des librairies. Dans ce contexte, c’est sûr que je ne pouvais pas payer les auteurs. J’ai publié une dizaine de livres avec mon argent et, au final, je n’ai jamais tiré une maudite cenne de ce truc-là.

Hervé Garcia

Le galeriste, qui tenait surtout à s’expliquer sur la fermeture du HangArt, admet qu’il n’a pas été en mesure de payer les artistes pour la vente de leurs toiles, ni même de pouvoir rembourser ceux qui ont fait des dépôts ou encore acheté des parts dans la galerie afin de toucher une partie des bénéfices, « étant donné la situation économique extrêmement difficile ».

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Hervé Garcia, photographié lors du lancement de son entreprise Loulee Arts, en 2011

Malgré cela, dans les deux cas, le Bureau du surintendant des faillites n’a reçu aucune déclaration de la faillite de ces entreprises.

« Je discutais avec trois groupes qui étaient intéressés à reprendre la galerie, parce que j’avais besoin de m’arrêter, a-t-il précisé. Mon objectif était que la galerie me survive. Ils ont tous vu nos états financiers, nos actifs qui étaient à vendre. J’ai écrit au propriétaire pour lui dire que j’avais besoin de temps avant de finaliser la transaction, mais il a changé les serrures sans aucun autre avis. Il a scié la branche sur laquelle j’étais assis. »

« Nous, on aurait été ravis d’avoir un repreneur », réplique le propriétaire de l’immeuble, qui refuse d’être identifié afin de ne pas être associé au galeriste. « Mais personne n’était intéressé. Moi, j’ai parlé à au moins une personne qui avait montré un intérêt au départ et qui s’est ravisée. Parce que Hervé Garcia devait de l’argent à tout le monde ! Difficile de reprendre une business qui a des passifs… »

« Ça n’a rien à voir »

Par rapport à Arion, Hervé Garcia nous confie avoir repris la maison d’édition [de Pascal Fleury] en 2006 « pour s’installer au Québec », mais il refuse d’y voir un modus operandi dans ses déboires en affaires.

« Ça n’a rien à voir. C’est moi qui me suis fait avoir. Je ne connaissais pas le milieu de l’édition, j’ignorais le fonctionnement de la chaîne du livre. Je me disais, un livre ça coûte 10 $ à imprimer et à distribuer, ça se vend 30 $ en librairie, donc il y a un petit peu d’argent à faire, mais ça ne marche pas comme ça. Il ne faut pas oublier que ces livres-là étaient publiés à compte d’auteur. »

Le réalisateur Maxime Desruisseaux, qui codirigeait à ce moment-là la collection de science-fiction d’Arion, Arion Anticipation, n’est pas d’accord avec cette affirmation.

On n’approchait pas les auteurs comme si on était une maison d’édition à compte d’auteur. Mais c’est sûr qu’en forçant les auteurs à acheter leurs propres livres, ça pouvait donner cette impression. C’était une clause dans les contrats, ils devaient acheter 200 livres.

Maxime Desruisseaux, ancien directeur de collection chez Arion

Le codirecteur d’Arion Anticipation avait à peine 19 ans quand il a commencé à travailler avec Hervé Garcia.

« Arion venait de publier la BD Laflèche, je trouvais ça cool, nous dit-il. On a proposé à Hervé de lancer cette collection de science-fiction et il a accepté. Mon codirecteur et moi avions quand même beaucoup de liberté. On payait de notre poche les frais de représentation des auteurs, les illustrateurs, etc., mais ça incluait notre paie aussi comme directeurs artistiques, et Hervé disait qu’il allait nous rembourser, mais il ne nous a jamais payés. Il nous devait une somme totale de 6500 $. À l’époque, c’était beaucoup pour nous. »

En 2007, Hervé Garcia a finalement annoncé à son équipe qu’il cherchait un repreneur, que la maison d’édition était « en difficulté financière ».

« Il voulait que la maison d’édition se spécialise dans la BD, nous confie Maxime Desruisseaux. Il nous a demandé de rester avec lui et il nous a payé 75 % de nos dépenses, environ 5000 $ sur les 6500 $ qu’il nous devait. Mais on a refusé de poursuivre l’aventure avec lui. C’est nous qui discutions avec les auteurs, et on savait qu’ils ne recevaient pas les redevances auxquelles ils avaient droit pour les ventes de leurs livres. »

Des redevances de 8 à 10 % des ventes en librairie, selon la plupart des contrats en bonne et due forme proposés par les maisons d’édition.

Des auteurs témoignent

Gautier Langevin, auteur et scénariste de BD, a publié en 2006 aux Éditions Arion son premier recueil de nouvelles de science-fiction Sens uniques. Joint il y a quelques jours à Angoulême, où il participait au Festival international de la bande dessinée, il se rappelle très bien son bref passage aux Éditions Arion.

« J’étais jeune, j’avais 24 ans, je publiais mon premier recueil de nouvelles. Arion venait de lancer sa collection de science-fiction, donc j’étais vraiment content lorsqu’ils ont accepté de me publier. Mais je n’ai reçu aucune avance et, pour mon lancement, Hervé Garcia m’a dit qu’il fallait que j’achète moi-même les copies de mon livre, sans droit de retour. Il n’était pas question qu’il reprenne les livres que je n’arrivais pas à vendre. Après la publication, je n’ai jamais reçu de redevances… »

Gautier Langevin a poursuivi son parcours d’auteur et scénariste, notamment avec sa série Far Out, et cofondé la maison d’édition Front froid, qu’il représente à Angoulême.

« Ç’a été mon baptême d’auteur, et je dois dire que ça ne s’est pas bien passé, dit-il. J’ai été naïf, comme beaucoup d’autres auteurs qui ont vécu la même chose, mais c’est peut-être aussi ce qui m’a amené à devenir administrateur à l’ANEL [Association nationale des éditeurs de livres] ! » Quelques années plus tard, il a republié son recueil de nouvelles Sens uniques aux Éditions de ta mère.

Même son de cloche du côté de Guillaume Fournier, auteur du roman Visions doubles en 2006, qui a bifurqué vers le cinéma.

« J’étais jeune et naïf, j’avais 19 ans. En fait, nous étions tous de jeunes auteurs qui débutaient », illustre-t-il.

On ne savait pas comment ça marchait, on était juste contents d’être publiés. Mais c’est sûr que la maison d’édition ne m’a rien payé. Et une fois le livre publié, je n’ai jamais reçu d’état de vente ni de redevances. Pourtant, j’ai dû en vendre quelques-uns…

Guillaume Fournier, auteur du roman Visions doubles en 2006

En 2010, Hervé Garcia a fondé la boîte Loulee Arts, une entreprise de location de tableaux en milieu commercial. Dans un portrait publié dans La Presse à l’été 2011, l’entrepreneur expliquait son modèle d’affaires.

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En somme, pour agrémenter les murs des entreprises, Loulee offrait en location des tableaux pour 1,50 $ par toile, par jour. Si quelqu’un voulait en faire l’acquisition, l’artiste prenait 50 % du prix de la vente, Hervé Garcia, 40 %, et le commerce, 10 %.

Les artistes, eux, pour la plupart des artistes de la relève, devaient débourser de 500 $ à 600 $ pour participer aux vernissages, selon Hervé Garcia. En revanche, ils n’avaient rien à payer pour exposer leurs toiles sur le site de Loulee Arts ni pour être exposés en entreprise.

Dans cet article, Hervé Garcia disait viser un chiffre d’affaires de 300 000 $. Mais le projet est mort l’année suivante, en 2012.

L’histoire jusqu’ici

Le 2 janvier, les quelque 140 artistes de la galerie Le HangArt sont avisés par courriel par leur galeriste Hervé Garcia qu’il n’a plus accès à son local. Plus de 1000 œuvres s’y trouvent.

Le propriétaire de l’immeuble explique qu’il a changé les serrures parce que Hervé Garcia refuse de payer son loyer.

Plus de 80 artistes font appel à l’avocat Marc Vaillancourt pour récupérer leurs toiles. Le propriétaire de l’immeuble permet à Hervé Garcia d’accéder à la galerie pour restituer les œuvres aux artistes.

Le Devoir révèle peu après que ses franchises de Vancouver, Toronto, Québec et Victoriaville ont toutes été fermées en même temps que celle de Montréal.