Document bien ficelé pour structurer l’action gouvernementale, ou discours « vieillot » ponctué d’occasions ratées ? Le rapport du Comité-conseil sur la découvrabilité des contenus culturels déposé mercredi est commenté par deux expertes.

Signal politique fort

Les constats énumérés dans le rapport d’expert n’ont rien de nouveau, souligne d’abord Catalina Briceno, professeure à l’École des médias de l’UQAM, qui rappelle que le Québec est reconnu mondialement comme un chef de file en recherche et en compréhension des enjeux liés à la découvrabilité. « Ce qui est intéressant dans ce rapport, c’est la volonté d’en faire un enjeu politique à plus haut niveau et de souligner le leadership international que peut exercer le Québec, dit-elle, en soulignant que 21 des 32 recommandations faites dans le rapport touchent des aspects comme la diplomatie culturelle, les politiques, les législations et la réglementation. Il y a maintenant une compréhension qu’il faut que cet enjeu soit pris à bras le corps, sur le plan politique, que ça fasse partie de nos stratégies de diplomatie culturelle et d’efforts interministériels. »

Un ministre en quête de validation

Nellie Brière, stratège en communications numériques, constate aussi la lecture « très politique » des enjeux de découvrabilité faite dans le rapport. « Il veut surtout imposer un rapport de forces entre le provincial et le fédéral sur les questions culturelles », résume-t-elle. Ottawa a compétence sur les « tuyaux » qui transportent le contenu culturel à travers les télécommunications et la radiodiffusion, réitèrent les experts, et Québec est censé avoir son mot à dire sur ce fameux contenu culturel. Ce qui a particulièrement réjoui le ministre de la Culture et des Communications, Mathieu Lacombe, c’est qu’ils valident le fait que le gouvernement du Québec a les moyens de légiférer pour protéger sa culture. « C’est peut-être ce qu’il allait chercher dans ce rapport-là », estime Catalina Briceno. Elle trouve compréhensible qu’une province se demande quelle est sa marge de manœuvre pour encadrer des plateformes de diffusion qui appartiennent à des entreprises étrangères.

Une « mauvaise compréhension des choses »

En plus de déplorer le manque de solutions concrètes, Nellie Brière juge le rapport un peu vieillot dans sa façon de poser les enjeux. Surtout, elle trouve qu’il témoigne par moments d’une mauvaise compréhension des choses. L’accent mis sur la faible place qu’occupe la musique québécoise francophone dans les écoutes faites en ligne l’indispose particulièrement. Elle estime qu’on confond allégrement le quantitatif et le qualitatif et qu’on oublie que la place que la musique occupe dans nos vies à beaucoup changé. « Ce qui pogne, c’est Alexandra Stréliski et Jean-Michel Blais parce que c’est de la musique qui s’écoute bien en muzak [musique de fond à laquelle on prête peu attention] », constate-t-elle. Or, le temps qu’on passe à écouter un artiste n’est pas forcément un signe d’engagement envers cet artiste. Elle croit que si on veut analyser l’intérêt pour la culture québécoise, on doit utiliser autre chose que ce genre de données d’écoute. « On n’aura pas cette information-là sans faire de sondages qualitatifs », dit-elle, tout en regrettant que cet aspect soit évacué du rapport.

Contenu « francophone » pas « québécois »

Les experts soulignent très vite qu’ils recommandent une valorisation du contenu original francophone, et non pas spécifiquement du contenu « québécois ». Cet aspect a du sens, aux yeux de Catalina Briceno, puisque le défi de découvrabilité auquel les industries culturelles d’ici font face est partagé par toutes celles qui se trouvent en position de minorité linguistique dans l’offre mondialisée. N’y a-t-il pas un risque que le contenu québécois soit noyé dans l’offre française, à travers l’alliance francophone préconisée par le rapport ? « Peut-être, mais en termes de gestion de risque, je pense qu’on est obligés d’adopter une stratégie de petits pas. Le premier, c’est la concertation francophone », estime la professeure de l’UQAM. Elle précise que le Québec est en meilleure posture qu’il n’y paraît sur le plan international en raison de son expertise. « On est en mesure de jouer un rôle de leader en matière de diplomatie culturelle », dit-elle, ce qui pourrait être un atout, comprend-on, pour la mise en valeur de nos contenus culturels.

PHOTO JULIA MAROIS, TIRÉE DU SITE DES ÉDITIONS DE L'HOMME

Catalina Briceno, professeure à l’École des médias de l’UQAM

Occasions manquées

Les actions devront être concertées pour faire face aux défis actuels, juge Catalina Briceno. « Il manque d’organes de coordination et de concertation, constate-t-elle. Je trouve que c’est une occasion manquée de ne pas avoir envisagé la mise en place d’un conseil national de la culture numérique ou d’une autre instance capable de faire converger et de coordonner l’ensemble des actions. » Nellie Brière, qui critique sévèrement le rapport de manière générale, déplore que le comité d’experts ait complètement baissé les bras et se contente de recommander la production de contenu local, sans parler du soutien des plateformes locales qui existent déjà et qui pourraient jouer un rôle, même sans prétendre concurrencer Netflix ou AppleMusic. Elle pense à Tou.tv ou encore à Tënk⁠1, plateforme consacrée au documentaire. « Je ne dis pas qu’il ne faut pas financer ce qui va se retrouver sur YouTube. Il le faut, parce qu’on sait que les gens sont là. Ce n’est pas l’un ou l’autre, insiste-t-elle toutefois. Ça devrait être l’un et l’autre. On devrait quand même exister, avoir nos plateformes et ne pas être obligé de payer 18 services pour accéder au patrimoine cinématographique québécois. »

1. Nellie Brière a précisé à La Presse qu’elle faisait partie du conseil d’administration de Tënk.