Ben Weider n'aura pas eu la chance de partager sa collection napoléonienne avec le grand public. Mais on pouvait sentir sa présence hier au Musée des beaux-arts, pour l'ouverture officielle d'une nouvelle exposition permanente consacrée à Bonaparte et à l'art sous le Premier Empire.

L'homme d'affaires montréalais, mort vendredi dernier à l'âge de 84 ans, se passionnait depuis un demi-siècle pour celui qu'on surnommait «le petit Caporal». Sa thèse sur l'empoisonnement de Bonaparte avait fait le tour du monde et semé le doute chez plusieurs historiens français.

 

Mais son attachement à Bonaparte allait encore plus loin. Au fil des ans, Weider avait acheté une quantité impressionnante d'objets liés à Napoléon ou qui lui avaient appartenu. Certains d'entre eux ont aujourd'hui une valeur inestimable.

L'idée de faire don de sa collection était dans l'air depuis plusieurs années. D'importantes institutions françaises (musées de Fontainebleau, des Invalides, d'Ajaccio) et américaines (Université de Floride) avaient courtisé M. Weider pour qu'il leur cède ses joyaux, en utilisant parfois des arguments fiscaux très convaincants.

Mais Ben Weider, enfant du Plateau Mont-Royal, était un Montréalais convaincu. Et c'est ici, qu'il souhaitait partager son trésor avec le grand public. Après un long processus d'évaluation, d'inventaire, et d'authentification, tous ses objets ont finalement été légués au Musée des beaux-arts. Un geste très émotif, souligne son ami, le sénateur Serge Joyal. «M. Weider était très attaché à sa collection. Elle faisait partie de son univers. En les donnant, c'est son environnement quotidien qui disparaissait.»

Un bicorne unique

Parmi les points forts de la collection Weider, on compte quelques meubles, dont un cartonnier ayant appartenu à Napoléon et sa femme Joséphine, un écritoire-rouleau, ainsi qu'une botte, des gants et une chemise ayant été revêtus par l'Empereur.

Mais le clou de l'expo demeure indiscutablement ce bicorne - symbole napoléonien par excellence - porté par Bonaparte en 1812, pendant la déroute de la campagne de Russie. Il ne reste apparemment que 12 des 170 couvre-chefs, fabriqués pour l'Empereur par le chapelier Poupart-Delaunay. Celui-ci est un des rares à avoir été si longtemps conservé chez un particulier. Il est aussi le seul qui soit exposé en Amérique du Nord. Unique en son genre, il avait été doublé de feutre à l'intérieur, à la demande du médecin de Napoléon, en prévision de l'hiver russe.

L'autre clou - dans le cercueil, si l'on peut dire - est cette fameuse mèche de cheveux de l'Empereur, par laquelle Ben Weider a pu échafauder sa thèse de l'empoisonnement. L'histoire est connue et reste, à ce jour, l'un des plus grands combats du Montréalais. Analysés scientifiquement par les plus grands toxicologues, ces cheveux ont confirmé une exposition majeure à l'arsenic. Mais il en aurait fallu davantage pour convaincre les historiens français qui, malgré ces expertises rigoureuses, n'ont jamais donné raison publiquement à Weider. Officiellement, Napoléon reste mort d'un cancer de l'estomac.

Un don précieux

Il ne fait aucun doute que Ben Weider possédait une des plus importantes collections privées sur Napoléon. Quelle en est sa valeur? Difficile à évaluer. Selon Serge Joyal, M. Weider ne tenait pas de livres sur ses dépenses de collectionneur. «Dans certains cas, il ne se souvenait même plus du prix. Ce que je sais par contre, c'est que le Musée des beaux-arts n'aurait pas été en mesure de les acheter.»

Il faut savoir que le culte Bonaparte est encore très fort partout dans le monde, avec son réseau bien établi de collectionneurs et de spéculateurs. Quand ils refont surface aux enchères, les objets napoléoniens font souvent l'objet de ventes spectaculaires. En juin 2007, un sabre utilisé par Bonaparte à la bataille de Marengo s'est envolé pour 6 millions de dollars, alors qu'il était évalué à 1,5 million.

Précisons que les deux salles inaugurées hier seront gratuites d'accès, comme toutes les collections permanentes du MBA. En plus de la collection Weider, on peut y voir une centaine de tableaux, de meubles et d'objets décoratifs de style Premier Empire (1800-1815), prêtées par des collectionneurs privés, incluant Serge Joyal et Power Corporation.

«Cette période faste des arts était jusqu'ici peu représentée au Musée des beaux-arts, soulignait hier la directrice du MBA Nathalie Bondil, en évoquant chaleureusement le souvenir de M. Weider. Maintenant, la seule chose qui nous manque vraiment, ce sont des porcelaines Premier Empire. Si vous en avez, laissez-nous savoir!...»