«Tout le monde aimait Betty Goodwin», dit Pierre Théberge, directeur du Musée des beaux-arts du Canada qui fut l'un des premiers à croire en la valeur de cette artiste née à Montréal en 1923 et qui est morte tôt lundi, à l'âge de 85 ans.

«C'était une femme très courageuse, poursuit-il, qui a décidé tard de laisser l'art d'amateur pour devenir une professionnelle. Elle a exprimé dans son oeuvre un pessimisme terrible. J'ai vu des gens pleurer dans les salles devant ses images de souffrance. Elle était désespérée de l'humanité qu'elle trouvait plus stupide que cruelle.

 

«La dernière fois que je l'ai vue, il y a de cela plusieurs années, elle était dépressive et n'était plus capable de créer. Je l'ai forcée à faire un dessin... elle a dessiné un oeil qui pleurait. Betty Goodwin était une femme d'une grande bonté en plus de compter parmi les artistes les plus importants de sa génération.»

Paulette Gagnon, conservatrice en chef du Musée d'art contemporain de Montréal a exactement les mêmes mots pour parler de Betty Goodwin. «Tout le monde l'aimait, dit-elle aussi. On sentait une fragilité chez elle et dans son travail. C'était une femme remarquable, et une artiste prolifique. Elle a laissé une oeuvre complexe et riche, sans redites. Elle est l'un des artistes les plus importants de sa génération, aux côtés de Michael Snow et Patterson Ewen.»

La grande dame de l'art contemporain laisse donc une oeuvre qui fait l'unanimité d'un océan à l'autre au Canada et sur la scène internationale. Betty Goodwin est partie discrètement, trois semaines après son mari Martin.

«Betty souhaitait mourir discrètement», précise René Blouin, son ami galeriste qui a commencé sa carrière à peu près en même temps que Betty Goodwin entreprenait la sienne. «Elle ne voulait pas de funérailles. Elle a d'ailleurs toujours été réservée. Elle avait peur que l'on connaisse les détails de sa vie. Elle vivait dans un atelier qu'elle s'était fait construire avenue Coloniale, un bunker sans fenêtres sur l'extérieur pour empêcher l'énergie de s'échapper», disait-elle.

Betty Goodwin, artiste autodidacte, est arrivée tard sur la scène de l'art montréalais. Sa première exposition eut lieu en 1972, à la galerie B de Roger Bellemare. Elle avait alors 49 ans. Elle y exposait des estampes et des gilets. Puis il y eut les immenses bâches de camion présentées au Musée d'art contemporain en 1974. Mais c'est avec Swimmers (nageurs), dans les années 80, qu'elle sortit du cercle des initiés pour atteindre un plus vaste public. Le Musée des beaux-arts de Montréal avait alors présenté une rétrospective des oeuvres de Betty Goodwin qui fit le tour du Canada en 1988 et même un détour à New York.

Les nageurs de Goodwin, montrant des formes humaines dont on ne savait si elles nageaient ou si elles se noyaient, fit l'unanimité.

Devant la beauté tragique de ces images, en même temps que leur cruauté, personne ne restait insensible. On pressentait le drame qui avait marqué la vie de l'artiste, même si elle-même refusait d'en parler. On sait aujourd'hui que son fils unique est mort jeune, dramatiquement, et que son mari Martin a failli mourir noyé.

«Avec Swimmers, Betty rejoignait et le monde de l'art et le monde ordinaire, explique René Blouin, l'un des galeristes les plus influents au Canada. Elle avait un registre d'auditoire très large. Son travail était enraciné dans sa vie. Tout le monde pouvait s'y identifier. Aussi bien les Canadiens que les Français ou les Suisses. C'est une oeuvre qui parle de la condition humaine, privée et collective, une oeuvre intuitive, jamais planifiée.»

Betty Goodwin se demandait ce qu'elle allait faire si le Québec se séparait, dit le galeriste. «Son pays, c'était Montréal et Betty éprouvait une grande reconnaissance à l'endroit des Québécois.» «Ce sont eux qui m'ont accueillie et qui ont été les premiers à me découvrir», disait-elle. Ce fut un honneur, pour elle, de recevoir le prix Paul-Émile-Borduas en 1986, précise René Blouin.

Exposition hommage

La galerie de René Blouin compte rendre hommage à Betty Goodwin en lui consacrant une petite exposition à partir du 3 janvier. Le Musée d'art contemporain exposera des pièces de Betty Goodwin dans le hall d'entrée pour saluer le départ de l'artiste et le Musée des beaux-arts de Montréal compte organiser quelque chose de son côté pour dire adieu à cette grande dame aimable et originale, profonde et anxieuse, dont la personnalité exerçait une sorte de charisme sur ceux et celles qu'elle rencontrait. Y compris les journalistes, ces êtres qu'elle craignait le plus.