C'est l'événement de la rentrée à Montréal. La Galerie de l'UQAM accueille, en première québécoise, le grand artiste belge, Wim Delvoye, et son oeuvre controversée: Cloaca No 5. En clair, il s'agit d'une machine recréant notre système digestif, de l'ingestion de nourriture... jusqu'à la sortie des excréments!

Wim Delvoye est l'un des artistes contemporains les plus intéressants sur la planète. Prolifique, protéiforme, provocateur, il plonge tête première dans ses propres contradictions plutôt que de les occulter. Le plasticien flamand de 43 ans manie aussi bien les excréments que l'ornementation gothique, l'organique que le décoratif. Avec humour, il pose des questions fondamentales sur notre vision de l'art et de la société.

 

«En créant Cloaca, je voulais toucher au monde des entreprises, du capitalisme et des grandes marques. La merde, c'est toujours une forme de critique. Ça choque mais personne n'est visé par cette machine. Elle n'est ni raciste, ni sexiste, ni anti-religion», a-t-il expliqué de son atelier de Gand au cours d'une entrevue à La Presse.

La machine cible notre société de surconsommation. Nourrie deux fois par jour avec de la vraie bouffe, elle utilise enzymes et bactéries comme un vrai système digestif et donne de vrais résultats! L'iconographie de Cloaca utilise clairement des logos d'entreprises telles que Ford, Chanel, M. Net et Coca-Cola.

Depuis l'an 2000, Wim Delvoye a fabriqué huit versions de sa «machine à merde» qui ont fait le tour du monde, avec des arrêts à New York, Toronto et Calgary en Amérique. Une neuvième, version trousse de voyage, pourrait voir le jour. Même les scientifiques s'y intéressent.

«J'ai eu un peu peur d'être dans l'ombre de cette machine. Elle était plus connue que moi à un certain moment donné. Mais cette série est finie, comme celle des cochons d'ailleurs», raconte en riant ce végétarien qui a aussi fait les manchettes en tatouant des porcs en Chine.

L'artiste aime repousser les limites de l'esthétique et de l'éthique en mêlant les époques, l'utilitaire à l'inutile, le simple objet et le sacré.

«L'art c'est quelque chose qui ne vit pas. La machine essaie de simuler l'une des plus élémentaires parties de notre vie. Mais ce côté vivant est dérangeant. La machine on peut la réparer, mais elle n'est pas humaine. C'est comme le monstre de Frankenstein. Ça résume la vie à manger ou être mangé», note-t-il.

Wim City

Mais Wim Delvoye c'est plus encore. Il est une ville. Le plasticien a construit, avec un corpus fort diversifié et éclaté, oeuvre par oeuvre, un lieu où l'imaginaire transforme la réalité en un organisme vivant autosuffisant. Il s'agit d'une illusion puisque l'on se situe toujours dans le domaine de l'art, mais celui qui questionne et bouscule.

Cette ville virtuelle existe sur l'internet: www.wimdelvoye.be. Elle rassemble tout ce qu'a fait l'artiste depuis des années, de ses premiers collages à ses récentes sculptures gothiques. Le site fait montre d'ambitions artistiques que certains qualifieront de démesurées. Wim Delvoye aime travailler le monumental et le grandiose.

«On rêve de construire une cathédrale», dit-il à propos de ces magnifiques camions et grues grandeurs nature qu'il construit présentement en bois et en métal.

Utilisant l'ornementation gothique, ces pièces d'art public, comme d'ailleurs ses vitraux qui utilisent des radiographies de corps humains, amènent certains critiques à le comparer à Bruegel l'ancien. Pour ses savants mélanges, ses contre-emplois et sa truculence, toujours politiquement incorrects.

«L'art n'est pas bon ou mauvais d'un point de vue moral, dit-il. Il n'a pas à l'être. C'est une manière efficace de critiquer le monde. Moi, on ne peut pas m'accuser d'être commercial. En même temps, je ne peux pas tout faire. Face à la machine, quand on me questionne sur la faim dans le monde, c'est ridicule. L'artiste n'est pas responsable de tout.»

Avec Cloaca, ce qui l'intéresse dorénavant c'est la réaction du public qui varie d'une ville à l'autre. L'oeuvre attire les amateurs d'art, mais aussi les curieux de technologie, voire les blasés qui estiment que l'art contemporain: «c'est de la merde.»

Le public peut assister au vernissage demain à 17 h 30, en présence du créateur. Quatre artistes québécois serviront un repas trois services à la machine. Pour finir avec la première question que tous se posent sans doute: «Oui ça pue, ça remet les pieds sur terre», indique Wim Delvoye.

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Cloaca No 5 de Wim Delvoye est présentée à la Galerie de l'UQAM jusqu'au 14 février.