Grand coup d'éclat ce printemps à la galerie Pierre-François Ouellette, qui présente Lignes traîtresses, un regroupement d'oeuvres récentes de l'artiste torontois Ed Pien: papiers découpés, dessins et une fabuleuse installation appelée Corridor.

Pierre-François Ouellette aime les artistes et ceux-ci le lui rendent bien. Avec raison. Le galeriste a le don de cueillir un fruit au point où il offre un maximum de saveurs. C'est le cas présent avec Ed Pien, artiste torontois sur le seuil d'une belle carrière internationale.

 

Cet orfèvre méticuleux présente à Montréal ses papiers découpés et ses dessins récents, mais il nous fait également l'immense cadeau d'une primeur exceptionnelle, une installation, Corridor, composée à la fois de deux murs de cordes tissées, encadrés par une projection vidéo et un dessin. Un point d'orgue important dans l'oeuvre de cet artiste.

Il s'agit d'un compendium de la pratique d'Ed Pien depuis une dizaine d'années, mais un ailleurs déjà porteur d'oeuvres futures prometteuses. L'artiste aborde un nouveau continent, de nouvelles avenues d'expression où la complexité de son art atteint un sommet, sans jamais tomber dans l'opacité.

Il y a une gravité dans le propos d'Ed Pien et un mystère, mais aussi une énergie de plus en plus présente, voire vivifiante. Entre positif et négatif, tant au sens photographique que philosophique du terme, avec ses cordes de diverses tailles et couleurs, l'artiste noue l'ombre à la lumière en attrapant le visiteur dans sa toile d'araignée.

«Je tente d'impliquer le spectateur de plus en plus. Avec la vidéo dans Corridor, je travaille sur le temps, en plus de l'espace. Le plus longtemps on y reste, le plus on en retire», estime l'artiste.

Mais ce processus existe aussi dans ses papiers découpés et ses dessins. Visiblement, le travail est dense, réfléchi. Les arbres qu'il sculpte sur papier sont d'imposants et fascinants organismes vivants. D'étranges êtres habitent leur ramage noir sur fond blanc. Ed Pien cultive l'ambiguïté, tout en nuances.

«Je ne veux pas faire joli, mais j'aime que ce soit beau», dit-il de ses découpages sur grandes surfaces.

Des transitions à explorer

Son tableau The Arrival of Spring impressionne. Des hommes ou des singes s'élancent dans un arbre gigantesque, qui côtoie une structure vraisemblablement métallique plus froide. Malgré cette opposition nature-culture, absolument tout est lié dans le trait. C'est un univers en soi qui peut sembler inquiétant, mais où la vie organique triomphe.

«C'est comme si tout y est possible, fait-il. J'aime explorer différentes possibilités plutôt que de m'en tenir à une seule. La vie est quelque part entre les extrêmes. Ce qui m'intéresse, c'est la transformation, les transitions.»

Ses dessins, aussi, se composent de plusieurs couches ou strates ajoutées les unes aux autres dans un processus de 10 longues années - vous avez bien lu! - qui va de l'abstraction vers la figuration et la narrativité.

«Je pose de petites marques au début, puis je commence à construire une image. Il s'en dégage des personnalités. Je les inscris dans une pièce de théâtre. Quand je constate qu'elles fonctionnent bien ensemble, je les lie. Ce sont des dessins en expansion», explique-t-il.

On y voit des créatures bizarroïdes apparaître, des têtes difformes, des membres découpés, mais d'autres représentations, en filigrane, sont empreintes de tendresse et de simplicité. C'est quelque part entre le noir et le blanc, dans toutes les teintes de gris, qu'Ed Pien agit.

Certains artistes contemporains veulent déranger. Et que cela. Ed Pien, lui, souffle sur l'ambiguïté, mais il reste accessible. Sa recherche inclut l'art d'être spectateur. Sans nous prendre par la main, mais par le coeur.

À voir absolument.

L'exposition Ed Pien: Lignes traîtresses est présentée jusqu'au 27 juin à la Galerie Pierre-François Ouellette art contemporain.