Le Musée de Joliette consacre une importante rétrospective à l'oeuvre photographique de Gabor Szilasi. En 124 photos, le regard d'un homme qui a fui la révolte hongroise pour se retrouver dans la révolution tranquille des Québécois.

Gabor Szilasi, né en 1928, est un photographe bien connu au Québec où il est arrivé en 1959. Il fait de la photo documentaire, c'est-à-dire qu'il saisit la réalité dans ce qu'elle a à raconter, sans chercher à l'embellir, ni à l'enlaidir. La rétrospective que lui consacre le Musée de Joliette est impressionnante. Les photos se suivent et se font face dans les salles transformées en corridors. Et même si les photos parlent toujours des autres - citoyens hongrois en révolte ou campagnards québécois en voie de disparition - elles disent aussi quelque chose de ce photographe au regard plus curieux que critique à qui le titre de l'exposition convient bien: l'éloquence du quotidien.

 

Les photographies sont regroupées autour de trois thèmes. Dans les scènes de la vie hongroise de 1952 à 1956, on retrouve les personnages typiques de la marchande de journaux ou de bretzels, les petits commerces sans prétention avant de voir ces foules en colère brûlant des ouvrages communistes, ou contemplant des tramways détruits. Les photos que Szilasi a prises quand il est retourné en Hongrie dans les années 80 montrent des gens dans leur appartement souvent rempli de livres, de souvenirs et d'objets divers par lesquels ils se définissent.

Une fois installé à Montréal, Szilasi part à la conquête photographique de la ville. Cela donne lieu à des scènes pittoresques de gens attendant l'autobus dans le brouillard de la neige, par exemple, ou à des photos d'une rare cycliste dans le trafic des années 70, ou encore de cette religieuse à l'aéroport de Dorval dont la cornette pointe vers l'aile d'un avion comme si les deux allaient s'envoler vers le ciel côte à côte. On y revoit aussi le chantier de construction de l'UQAM et bon nombre de photos de l'architecture diversifiée de Montréal. Il y a toujours dans l'oeuvre du photographe, peu importe le thème, des séries de portraits. Portraits d'amis et d'autres gens dans leur maison ou leur atelier, parfois même en diptyques, la personne d'un bord, l'appartement de l'autre...

Quant aux photos du Québec rural des années 70, elles sont peut-être les plus dérangeantes. Parce que ce monde saisi par Szilasi n'est plus. Et qu'il y a dans leur décor simple de tous les jours une pauvreté certaine malgré, parfois, l'amoncellement de bébelles faites à la main, ou d'articles religieux. Ces photos évoquent le poids de l'inculture de jadis. Des Christ en croix partagent les murs des maisons ou des commerces avec des affiches publicitaires ou des photos pornos. On pense à Pierre Perrault, dont on peut d'ailleurs voir quelques films au sous-sol en compagnie d'autres cinéastes de la belle époque de l'ONF.

Dessins en 3-D

Le Musée de Joliette fait place aussi à quatre installations de Marie-Josée Laframboise, qui dit dessiner en trois dimensions. Elle dit la vérité. On croit d'abord voir un immense gribouillage, coups de crayons de couleur, qui occupe tout un mur d'une grande salle. Il s'agit en fait de fils qui sortent des murs et qui dessinent des traits, des boucles, dans l'espace. L'artiste se sert aussi de billes pour «dessiner» une sorte de carte géographique par terre placée sous une pluie de guenilles qui tombent du plafond. Dans une autre installation, on croit avoir affaire à un réseau de cordes formant une toile d'araignée. Le réseau est fait, en réalité, de sacs de papier kraft roulés en boudins et attachés les uns aux autres comme des mailles de macramé. L'exposition se poursuit à l'étage où sont présentés des dizaines de dessins cette fois sur papier, qui évoquent des cartes géographiques, des plans d'architecture ou des esquisses pour les installations. La combinaison des dessins et des installations donne une bonne idée de la cohérence de cette artiste dont le savoir-faire est aussi impressionnant que la démarche conceptuelle.

Colorier géant

Par ailleurs, le musée invite les gens à participer à une activité originale, le dimanche 7 juin, à 13h: colorier une fresque géante dessinée à la main par un collectif français: Studiobüro. Les visiteurs pourront ajouter leur touche à l'oeuvre pendant tout l'été.

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Gabor Szilasi jusqu'au 30 août et Marie-Josée Laframboise jusqu'au 23 août, au Musée de Joliette (145, rue du Père-Wilfrid-Corbeil). Ouvert du mardi au dimanche, de 12h à 17h. (www.museejoliette.org)