En 2007, à l'âge de 35 ans, Jérôme Fortin trônait au ciel du Musée d'art contemporain de Montréal. Il occupait là quelques grandes salles avec d'immenses oeuvres directement collées sur les murs qui allaient être détruites par la suite. On peut difficilement monter plus haut au Québec. Y a-t-il une vie après le MAC? Et quel genre de vie? C'est ce que nous lui avons demandé.

Eh bien! depuis 2007, Jérôme Fortin vit dans ses valises, le catalogue du MAC lui servant de passeport. De Montréal à la Colombie-Britannique et autres villes canadiennes, puis Paris, Prague, Tokyo, Beijing, Mexico, Barcelone où il a fait un stage auprès de Joan Roma, le maître-graveur de Tàpies («un privilège»). Et Pretoria (Afrique du Sud) dont il est revenu, il y a quelques mois, secoué par le triste sort des Sud-Africains. Prochaines étapes: encore Mexico et Monterrey (Mexique), puis Shanghai, pour l'Exposition universelle. Parmi d'autres.

 

Quel itinéraire bizarre! «À cause des résidences, explique l'artiste. C'est là où l'on fait des contacts qui nous entraînent ailleurs.» Il parle ici de résidences regroupant souvent des artistes de différentes nationalités, comme c'est le cas de la Cité internationale des arts, à Paris, ou de programmes comme Échange d'artistes et d'ateliers-résidences Mexico-Québec. A-t-il pensé s'établir ailleurs, à New York, par exemple? «J'ai vécu un temps à New York. Non. J'ai aussi pensé à Berlin. Mais on est si bien à Montréal! De Montréal on peut aller partout. Il y a une très belle énergie ici.» Et Jérôme Fortin s'intéresse de plus en plus au programme dit du 1% (oeuvres d'art intégrées à l'architecture publique) auquel il a finalement décidé de participer.

Depuis son retour de Pretoria, il y a six mois, Jérôme Fortin a passé des tonnes d'heures à découper des couvercles de boîtes de conserve à l'aide d'un couteau à pointe triangulaire. Il y a 8000 couvercles remplissant des boîtes de carton bien alignées comme un long tapis de corridor à la galerie de son agent, Pierre-François Ouellet.

Les boîtes du centre sont pleines de ces rosaces rutilantes et épineuses, dangereuses, maintenues en place par d'autres boîtes de carton, fermées celles-là. Qu'y a-t-il dans ces boîtes fermées? Il faut faire un Milou de soi-même, comme dans Le crabe aux pinces d'or, pour trouver la réponse. Cela s'appelle Continuum.

Ce peut être considéré comme une sculpture minimaliste. On pense aussi à du barbelé. Il y a toujours de la démesure dans les oeuvres de cet artiste, aussi un mélange de savoir-faire manuel et d'évocation de l'art formaliste. Toujours l'utilisation d'objets du quotidien. Et la répétition à l'infini des mêmes gestes. Fortin n'a pas réalisé cette oeuvre en regardant la télé, mais en écoutant la musique minimaliste de Morton Feldman, à qui, dit-il, il rend ici hommage.

L'exposition que lui consacre la galerie jusqu'au 3 avril rassemble aussi un groupe de tableaux faits de papier tressé en ruban puis collé sur une surface. L'assemblage des papiers et les couleurs choisies donnent à ces tableaux réalisés pour le Art Museum of Pretoria des allures de tissu africain. Cela s'appelle Série noire. «Et c'est la fin de mes Écrans», dit l'artiste qui semble avoir hâte de passer à autre chose. À la gravure, par exemple, dont il a rapporté quatre estampes éditées par la galerie de Toni Tàpies, à Barcelone, le fils d'Antoni. «J'ai tellement appris de choses avec le maître-graveur, qu'il me faudra beaucoup de temps pour tout mettre en application.» Un autre voyage à Barcelone peut-être?

Après le MAC, il y a le monde.

Jérôme Fortin, Continuum, à la galerie Pierre-François Ouellet Art contemporain, 372, rue Sainte-Catherine Ouest, pièce 216, jusqu'au 3 avril. Ouvert du mercredi au samedi, de 10h à 17h30. Entrée libre.