Les prix Sobey sont une belle invention. Attribués à la relève canadienne en art contemporain, ils permettent à de jeunes artistes de se faire connaître dun océan à l'autre. Ils mettent de l'avant leur gestionnaire : le Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse. Et font parler des donateurs : la famille Sobey.

C'est le Musée d'art contemporain qui accueille, cette année, l'exposition des finalistes aux prix Sobey, créés il y a sept ans. Il y a cinq finalistes, représentant les cinq régions du Canada. Le gagnant recevra une bourse de 50 000 $ - la somme la plus généreuse en art contemporain - les autres, chacun 5000 $. À cette exposition des finalistes, le Musée ajoute celle des quatre demi-finalistes du Québec. Cela donne une grande exposition d'installations. Le seul lien qui unisse tout ce beau monde de moins de 40 ans: ils font de l'art hybride en utilisant tous les matériaux et médias imaginables et même inimaginables et s'intéressent à plusieurs dimensions à la fois, aussi bien culturelles que sociales ou esthétiques, historiques ou intimistes, temporelles ou intemporelles...

Prenons cet artiste étonnant qu'est Patrick Bernatchez, de Montréal. Il nous entraîne dans deux salles obscures. Dans la première trône un piano ouvert, comme s'il avait subi une opération au coeur, et relié par des tubes à divers mécanismes. Il y a aussi une montre sous verre: il lui faudra 1000 ans pour faire une seule révolution, apprend-on en lisant les «instructions» du musée. Disons que les aiguilles n'avanceront pas vite... Dans l'autre salle reliée à la première, il y a la photo d'une nature morte et pas très loin, la même nature morte dans une vitrine, mais vivante, c'est-à-dire que les fruits et les fleurs qui la composent périront au cours des prochains jours. Un vieux 33 tours fait entendre les Variations Goldberg qui se déforment et s'étirent, en lien avec le piano trafiqué qui intervient de temps à autre. Vous aurez compris, peut-être, que cette installation propose une réflexion sur le temps. On peut d'ailleurs y rester des heures... Tous ces éléments font partie d'un vaste projet de Bernatchez intitulé Lost in Time.

Un autre exemple: Brendan Lee Satish Tang, de la côte Ouest, qui fait des sculptures en céramique. Presque toutes sont présentées sous verre, mais il y en a aussi accrochées aux murs. On croit d'abord avoir affaire à de la poterie conventionnelle. Mais on en est loin. Les vases et différents objets que propose l'artiste sont réalisés d'une manière impeccable, avec un savoir-faire impressionnant. Mais ils sont tordus, comprimés, envahis par des formes étrangères qui montrent des bouts de mécanique ou des restes de monstres. Ils sont ornés de dessins et de dorures. Ils évoquent la culture chinoise traditionnelle mêlée aux mangas japonais et à la culture industrielle. Entre autres. C'est un exemple parfait d'art hybride et métissé.

Nous ne pouvons parler de tout le monde ici, mais chez les demi-finalistes, il y a BGL, ce trio de Québec qui poursuit son aventure dans le bois. Cette fois, l'installation est faite d'un arbre découpé dans du bois dont l'une des branches supporte une scie à chaîne restée accrochée. Le faîte ne tient que par un point au reste de l'arbre et bascule un peu comme s'il allait nous tomber dessus. C'est ce qui arriverait si on enlevait la scie de l'installation... L'art contemporain est parfois dangereux.

Des dessins d'enfants

Une autre exposition s'ajoute aux deux premières. Elle est consacrée à un artiste originaire de Winnipeg qui n'a rien à voir avec les prix Sobey. Mais l'art qu'il pratique est aussi hybride et métissé que celui de ses collègues des autres salles. Jon Pylypchuk, qui vit maintenant à Los Angeles, fabrique des têtes et des personnages qu'il met en scène. Il les fait à partir de matériaux de toutes sortes, la plupart récupérés dans les décombres: guenille, bois, asphalte, plastique, tuyauterie, fil électrique, ampoule... Ses figures sont simples, drôles ou monstrueuses, elles font penser à des dessins d'enfants. Elles sont dotées d'yeux constitués par des petites lumières, qui, souvent, leur sortent de la tête. Chaque figure de cette série The War a un nom. Dans une autre installation, l'artiste met en scène des personnages dépenaillés dans un décor de bidonville. On croirait voir une scène de village dans un pays perdu. Cela s'appelle «press a weight through life and I will watch this crush you», en lettres minuscules.

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Musée d'art contemporain, 185, rue Sainte-Catherine Ouest, ouvert du mardi au dimanche, de 11 h à 18 h; le mercredi, ouvert jusqu'à 21 h. Les trois expositions se poursuivent jusqu'au 2 janvier 2011.

Les finalistes

Les finalistes aux prix Sobey sont Brendan Lee Satish Tang, Daniel Barrow, Brendan Fernandes, Patrick Bernatchez, le duo Emily Vey Duke et Cooper Battersby. Les demi-finalistes du Québec: BGL, Pascal Grandmaison, Adad Hannah, Karen Tam.