L'architecte canadien Moshe Safdie n'avait pas 30 ans lorsqu'il a dessiné les plans d'Habitat, complexe résidentiel conçu pour Expo 67. Puis, il ne réalise plus rien au pays jusqu'à l'ouverture du Musée des beaux-arts du Canada en 1988. Musée qui lui consacre une exposition en ce moment.

Si un jeu de Monopoly sur le thème de l'architecture existait, il pourrait pratiquement être consacré à Moshe Safdie.

Montréal, Jérusalem, Salt Lake City, Singapour, Vancouver, Ottawa, Anandpur Sahib... Après avoir été mis au monde (au sens professionnel) avec son projet Habitat d'Expo 67, le célèbre architecte a signé des oeuvres aux quatre coins du monde.

Il manque l'Europe, un gros morceau, convenons-en, à son tableau de chasse. Quoique... Safdie a terminé deuxième, derrière le tandem Renzo Piano/Richard Rogers (rien de moins!) pour le projet du Centre Pompidou de Paris.

Qu'à cela ne tienne. L'universalité de Safdie ne se décline pas uniquement de par les lieux où il a construit des édifices. Elle se définit aussi dans sa sensibilité aux différents bagages culturels des peuples et par sa capacité de fondre les édifices qu'il a conçus dans leur environnement immédiat.

C'est ce que soutient Donald Albrecht, commissaire de l'exposition Citoyen du monde. L'architecture de Moshe Safdie que le Musée des beaux-arts du Canada présente depuis le 6 octobre.

«Ce qui rend l'exposition intéressante est que le travail de M. Safdie est universel. Il a travaillé pour des gens de tous les horizons et toutes les influences: politiques, religieuses ou culturelles, dit le commissaire joint à New York. Pour chacun des groupes avec qui il a travaillé, il a été en mesure de créer des édifices reflétant le sentiment d'appartenance, l'identité.»

Safdie, qui a maintenant 72 ans et vit à Boston où il travaille et enseigne (à Harvard), constate l'évolution de son oeuvre à travers l'exposition qui lui est consacrée.

«Le commissaire a divisé l'exposition en périodes, dit-il en entrevue. Il y a d'abord celle d'Habitat 67 et ses suites, mon travail à Jérusalem, ma phase américaine où je me suis intéressé aux grandes institutions publiques et la phase actuelle qui se démarque dans un changement d'échelle.»

L'ensemble est illustré à l'aide de maquettes, de croquis, de photographies et de films. Le travail de Safdie à Jérusalem intéressera particulièrement les visiteurs, car il a eu d'importantes répercussions sur les oeuvres réalisées par la suite au Québec et Canada.

«J'étais très intéressé par le défi de construire des bâtiments contemporains dans un environnement historique. Cela m'a été très utile pour réaliser le Musée de la civilisation de Québec et la Galerie nationale d'Ottawa», souligne l'architecte.

Imposer sans intimider

Au sujet des réalisations de Safdie à Jérusalem, Donald Albrecht y voit aussi un sens de l'intégration des places publiques. «Il n'a pas uniquement senti la mixité religieuse de la ville, mais la force des places publiques, dit-il. Il a vu comment transposer le caractère de ces places extérieures dans des espaces intérieurs.»

Lorsqu'on lui demande quelles sont les principales qualités de Safdie l'architecte, Albrecht répond: «Il construit des édifices imposants, mais pas intimidants. Il possède un sens de la monumentalité. Et il est doué avec la lumière naturelle. Par exemple, au musée d'Ottawa, un système de cheminées fait descendre la lumière aux paliers inférieurs de la galerie. C'est ingénieux. Cela donne l'aspect de salons publics.»

Habitat revisité

Moshe Safdie, qui revient régulièrement à Montréal voir sa mère et sa famille, se réjouit de la dernière portion de l'exposition consacrée à un retour sur son projet Habitat (aujourd'hui Habitat 67) où il possède toujours son appartement (voir encadré).

«Le commissaire m'a proposé de revisiter Habitat, 40 ans plus tard. Nous avons donc formé une équipe avec plusieurs jeunes dans mon cabinet pour voir ce que serait Habitat 67 aujourd'hui. Nous avons donc fait de nouveaux designs, de nouveaux modèles ainsi qu'un film. Certains disent que le projet devrait être moins cher et plus simple. D'autres voient l'ensemble 10 fois plus dense et plus haut que ce qui a été construit.»

Il y avait eu, à l'époque d'Habitat, des projets de transpositions ailleurs dans le monde (New York, Porto Rico), mais ceux-ci ne se sont jamais concrétisés.

Appartement à exploiter

Bien qu'il possède toujours son appartement à Habitat, Moshe Safdie songe à l'avenir. Il souhaite en faire cadeau à une institution publique afin de perpétuer son travail. «L'édifice est protégé (il est classé monument historique par Québec) et l'intérieur de mon appartement est aussi protégé, dit Safdie. Il est le seul à conserver tout son aspect original. Je veux en faire cadeau à un musée ou une université pour que cela reste ouvert au public. L'endroit pourrait être ouvert une fois la semaine et le reste du temps servir de résidence ou d'espace de rencontres.» Des discussions ont déjà eu lieu dans le passé, notamment avec le Centre canadien d'architecture, dit M. Safdie, mais rien ne s'est concrétisé jusqu'à maintenant.

Quelques réalisations

> Habitat 67, Montréal

> Pavillon Jean-Noël Desmarais, Musée des beaux-arts de Montréal

> Musée des beaux-arts, Ottawa

> Musée de la civilisation, Québec

> Mamilla Center, Jérusalem

> United State Institute of Peace, Washington

> Aéroport Lester B. Pearson, Toronto - André Duschene

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Après Ottawa, l'exposition ira à Chicago, Los Angeles et en Arkansas. Citoyen du monde. L'architecture de Moshe Safdie, jusqu'au 9 janvier 2011 au Musée des beaux-arts du Canada.