Le cinéaste britannique Peter Greenaway présente pour la première fois en Amérique du Nord sa version de La Cène de Léonard de Vinci. Une version conçue pour ceux et celles qui souffrent d'un trouble déficitaire de l'attention.

C'est un fait connu: la majorité des visiteurs de musée ne passent que quelques secondes à observer les oeuvres qui croisent leur regard. Au Louvre, même l'énigmatique sourire de La Joconde ne retiendrait l'attention des visiteurs que pour un maigre 15 secondes en moyenne.

Prenant le contre-pied du «fast art», Peter Greenaway a décidé d'entreprendre une série de 10 installations dédiées à autant d'oeuvres incontournables. Après La Ronde de nuit de Rembrandt en 2006, il s'est attaqué à La Cène de De Vinci et aux Noces de Cana de Paul Véronèse.

Son but? «Je veux que les gens observent et observent encore, confiait le réalisateur au New York Observer à la fin novembre. J'aimerais que le public en sorte plus riche, en comprenant pourquoi ces peintures sont importantes.»

À New York, Greenaway a amené dans ses bagages deux installations - sa version de La Cène et son «exploration digitale» des Noces de Cana - qu'il présente conjointement à l'Armory. Ce bâtiment qui servait autrefois aux militaires fait penser à une immense cathédrale industrielle.

Les deux installations font l'objet d'une présentation d'une vingtaine de minutes chacune sur une myriade d'écrans. Comme s'il voulait éviter que la génération Nintendo ne s'ennuie, Peter Greenaway a mis en place toute une quincaillerie d'éclairages, de projections et d'effets sonores à même de divertir les plus impatients.

Pour La Cène, Greenaway a fait produire un clone du tableau original à l'aide de photos haute définition et d'un scanneur 3D. Logée dans une immense alcôve qui rappelle celle du réfectoire de Santa Maria delle Grazie à Milan, la reproduction est ensuite disséquée par un savant jeu de lumières.

Isolant tour à tour différentes portions de l'oeuvre, le cinéaste met par exemple en lumière la fascination de De Vinci pour les triptyques (le père, le fils et le Saint-Esprit) en soulignant comment les apôtres sont placés par groupe de trois. Puis, n'illuminant que les mains des personnages, il montre comment ces dernières dessinent une sorte de partition musicale.

Multipliant les ombrages et les jeux de couleurs, faisant couler le sang, le cinéaste s'amuse à donner des airs cinématographiques à La Cène en la rendant beaucoup plus dramatique.

«Si Léonard de Vinci était en vie aujourd'hui, il ne serait pas qu'intéressé à faire des films, il serait en train d'utiliser des caméras haute définition et serait à l'avant-garde, expérimentant avec des hologrammes», avait assuré Greenaway lors de la première de l'installation en 2008.

Dans la salle adjacente délimitée par d'énormes écrans, c'est ensuite au tour du tableau de Véronèse d'être passé au crible. Didactique, Greenaway utilise cette fois une voix hors champ pour décrire le travail du peintre. Un cinglant critique du Financial Times a comparé l'exercice à une présentation PowerPoint...

Sortant quand même des sentiers battus, Greenaway prête une voix aux nombreux personnages qui peuplent le tableau. Il imagine leurs conversations, alors que Jésus vient de transformer l'eau en vin.

Le plus déconcertant? Pour un cinéaste dont les films sont parfois interminablement longs et incroyablement denses, les installations présentées à l'Armory jusqu'au 6 janvier paraissent brèves et quelque peu superficielles. La multiplication des effets ne laisse finalement guère le temps de prendre la pleine mesure des oeuvres. Pour ça, il faudra se rendre à Milan ou Paris où sont conservées les peintures originales.