Explorant les univers de la photographie et du cinéma avec un regard plongé dans l'histoire et la découverte, Adad Hannah présente, à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain, une autre exposition fascinante de ses tableaux vivants inspirée cette fois-ci d'un voyage en Russie.

À la fois théâtre, par leur mise en scène, photographie, avec la pose des modèles, peinture, du fait des décors, et cinéma, à cause de leur animation, les oeuvres de l'exposition Les Russes sont le résultat, captivant, d'un travail documentaire qu'Adad Hannah a réalisé durant l'été 2010 dans la région de Saint-Pétersbourg.

La Presse s'est rendue récemment dans l'atelier d'Adad Hannah pour découvrir ces créations qui se situent à la frontière de la scénographie et de la documentation. Mais si, à la manière d'un Gabor Szilasi, Adad Hannah a échantillonné la population d'une petite région de la Russie, son inspiration lui vient du photographe russe Serguei Prokoudine-Gorski, pionnier de la photographie couleur.

Né en 1863 et mort à Paris en 1944, cet artiste de la lentille a réalisé durant ses voyages en Russie des clichés d'une grande beauté avec des couleurs stupéfiantes pour l'époque. Les 1908 photos de Serguei Prokoudine-Gorski ont été numérisées et sont conservées à la Bibliothèque du Congrès des États-Unis, à Washington.

«Il était un maître de la pose, explique Adad Hannah. Il y a un siècle, la pose durait un moment. Avec la vidéo et mes tableaux vivants, la pose dure aussi un moment que j'ai étiré. Je me suis donc inspiré de Serguei Prokoudine-Gorski, de son approche scientifique et expérimentale, pour une expérience au cours de laquelle j'ai fait pour la première fois de la photographie documentaire.»

Habitué aux réalisations nécessitant bien des techniciens, il est parti, notamment à bicyclette, à la recherche de petites tranches de vie dans la campagne russe avec son trépied, son appareil photo, sa caméra et quelques lentilles sur le porte-bagages.

Il rencontrait les gens au hasard de ses promenades rurales et leur demandait de poser pour lui. Adad Hannah plaçait les modèles comme pour une pose photographique, mais tournait une vidéo. Les personnes devaient rester immobiles d'une à six minutes.

Il a fait poser des soldats, un adolescent à l'orée d'une forêt, une femme qui s'apprête à se laver les mains dans un évier, des jeunes installés autour d'une voiture, deux couples en train de pique-niquer dans un parc, etc.

Ce ne sont pas des photos. Ce ne sont pas des courts métrages. Ce sont comme des peintures en mouvement. Il n'y a pas la froideur d'un portrait, mais une émotion qui surgit de cette vie qui nous est offerte comme une carte postale vivante.

«Comme je ne parle pas le russe, j'ai laissé aller les choses plus que d'habitude. Du coup, les modèles regardent à gauche et à droite, bougent un peu. Parfois, ils étaient même un peu confus, ne sachant pas si c'était sérieux ou pas! Si c'était de la photo ou de la vidéo. Pour eux, ça avait même un aspect méditatif.»

L'artiste montréalais poursuit donc sa quête artistique découlant de sa fascination pour les tableaux vivants, cette théâtralité en vogue au XIXe siècle alors que des modèles prenaient des poses classiques, sans bouger, en public, comme s'ils allaient être peints.

Le travail d'Hannah pour Les Russes rappelle sa série Stills ou son expérience au Leeum, le musée d'art Samsung de Séoul, en Corée du Sud, où des modèles filmés tenaient des miroirs et reflétaient des images «provoquées» par leur respiration et leurs mouvements.

Les personnages encore là sont immobiles, qu'ils soient assis ou couchés. Au début, on prend les écrans pour des photos, mais en se rapprochant, on voit les modèles bouger légèrement, recherchant un point d'appui. Clignotement des yeux, regard concentré ou interrogatif, respiration silencieuse, léger sourire: on se plaît à rester devant chaque vidéo pour en saisir tous les instants, tous les détails.

La lumière naturelle des oeuvres est splendide. Adad Hannah explique que les trois quarts des vidéos ont été tournées entre 19h et 22h, le soleil se couchant très tard dans cette région de la Russie, en été.

L'exposition, qui comprend aussi des photos, est en même temps un formidable morceau de quotidienneté de cette Russie en mouvement et que l'artiste a figée durant quelques instants. «J'aimerais y retourner et poursuivre ce travail dans d'autres régions, dit Adad Hannah. La Russie, si grande et si diversifiée, change très vite. C'est bien de pouvoir ralentir un peu les choses.»

Les Russes, d'Adad Hannah, Galerie Pierre-François Ouellette art contemporain. 372, rue Sainte-Catherine Ouest, suite 216. Du 10 septembre au 22 octobre.