Denys Arcand et le photographe Adad Hannah viennent de deux planètes radicalement différentes. L'un est un cinéaste pure laine québécois, de Deschambault, avec une formation d'historien et un penchant pour la critique sociale. L'autre est un jeune photographe juif new-yorkais, fasciné par les tableaux des grands maîtres, qui a passé la moitié de sa vie à voyager avant de s'installer à Montréal en 2001.

Pourtant, dès qu'ils se sont rencontrés dans une galerie montréalaise où Adad Hannah présentait une expo de tableaux vivants inspirés des scènes du Radeau de la Méduse, ils ont su qu'ils étaient faits pour s'entendre. L'invitation qu'ils ont reçue du Musée des beaux-arts n'a fait que confirmer leur désir de créer ensemble.

Leur point de départ pour l'exposition Big Bang fut La Ronde d'Arthur Schnitzler, une pièce sur la promiscuité sexuelle qui fit scandale dans le Vienne de 1900. Un lit créé pour le prince de Galles venu à Montréal en 1860 inaugurer le pont Victoria, et appartenant à la collection des arts décoratifs du MBAM, devait être la pièce maîtresse de leur installation. Mais bien vite, le lit a pris le bord, à la faveur d'un canapé italien modulaire Safari, né en 1967 à Florence dans les ateliers de l'agence de design d'Archizoom Associati.

Allumés par cet objet kitsch recouvert de faux léopard qui avait dû connaître ses heures de gloire dans le palace d'un richissime Italien avant de finir dans la section VIP d'un bar des années 80, ils ont décidé de raconter un instant de son histoire intime. « Ce canapé existe depuis plus de 40 ans, mais nous, nous voulions mettre en scène sept minutes de sa vie avant qu'il ne devienne une pièce de musée », explique Adad Hannah.

Le résultat est une installation constituée de six écrans disposés autour du canapé et diffusant en continu, les images d'une soirée enfumée des années 80. Tournée selon les règles de l'art cinématographie, la scène a été réalisée avec le directeur photo Van Royko, l'équipe de costumes de Funkytown et celle du film Le monde de Barney au maquillage et coiffure. Huit acteurs, tous employés du musée, y incarnent des couples qui se font et se défont au ralenti dans les vapeurs d'alcool, la fumée de cigarette et les lignes de coke. Un léger parfum de dépravation envahit le visiteur qui s'aventure dans la salle avant d'être aspiré par l'ambiance trouble de ce safari de la nuit où les chasseurs et les proies finissent par se confondre.

Difficile de dire qui de Denys Arcand ou d'Adad Hannah a le plus influencé l'autre. Chose certaine, les deux créateurs ont pris tellement de plaisir à créer ensemble qu'ils entendent bien recommencer dès que l'occasion et le financement se présenteront. Avis aux intéressés.