À la fois spectaculaires, angoissantes et poignantes, les 170 photographies de Cindy Sherman présentées au MoMA de New York parlent entre autres de la tyrannie des apparences, de la peur de vieillir et de notre obsession du statut social. Une expo féministe, mais pas seulement.

L'idée d'organiser une grande rétrospective des oeuvres de Cindy Sherman au Museum of Modern Art a germé dans la tête de la conservatrice Eva Respini en 2008. Elle venait de voir une série d'immenses photographies de Sherman déguisée en femmes vieillissantes de la bonne société, et cela l'avait bouleversée.

«Ces photos montraient des femmes tragiques, un brin grotesques, voire vulgaires», se souvient la conservatrice. C'était en plein coeur de la crise financière et ces photos de femmes riches mais quelque peu pathétiques semblaient évoquer la fin d'une ère.

«J'ai réalisé à quel point Cindy Sherman est toujours restée de son époque et qu'elle est même plus contemporaine que jamais. Cette série de photos en particulier s'adresse à une société obsédée par le statut social et la jeunesse. Ces images évoquent d'une manière extrêmement poignante le fait de vieillir dans une société obnubilée par l'idée de rester jeune», poursuit Eva Respini.

Quatre ans plus tard, plus de 170 photos de Cindy Sherman occupent les murs du sixième étage du MoMA jusqu'au 11 juin. En une dizaine de salles, on revisite près de 35 ans de travail de l'artiste new-yorkaise.

Le tragique sous le vernis

La vaste majorité des photographies met en scène Sherman incarnant mille et un personnages, des femmes pour la plupart. Il y a des vamps, des femmes au foyer, des femmes de la Renaissance et d'autres qui semblent tout droit sorties d'un film de Hitchcock.

Bien que ces photos soient adorées par les people (de Madonna à Lady Gaga en passant par Elton John), le travail de Sherman ne verse jamais dans le glamour et encore moins dans le sexy. Dans sa série «Centerfolds» (en référence aux fameuses pages centrales de Playboy), Sherman apparaît ainsi toujours vêtue, souvent triste, parfois le regard hagard, comme si elle se réveillait avec une terrible gueule de bois ou victime d'un viol.

«Je pense que les gens font souvent l'erreur de considérer le travail de Sherman comme quelque chose de léger. Si vous regardez ses oeuvres avec attention, il y a presque toujours un aspect tragique. C'est toujours là, sous la surface. La plupart de ses femmes, même celles qui ont l'air glamour, ont un visage qui paraît dénué d'expression. Personnellement, je les sens extrêmement insatisfaites, comme si elles étaient prises au piège de leur existence», dit la conservatrice.

Au-delà du féminisme

Féministe, la photographe new-yorkaise? «Assurément», répond Eva Respini, qui a passé les deux dernières années à travailler étroitement avec Cindy Sherman à l'exposition et à son catalogue. La conservatrice ajoute toutefois que Sherman est beaucoup plus que cela et ne voudrait surtout pas être vue à travers ce seul prisme.

Dans tous les cas, la New-Yorkaise peut se vanter d'un record que bien des artistes, hommes comme femmes, lui envient. En mai dernier, son oeuvre Untitled #96, la montrant étendue sur le sol, un bout de page de petites annonces à la main, a été achetée pour 3,9 millions de dollars. À cette période, il s'agissait d'un record absolu pour une photographie vendue aux enchères.