La rencontre d'un dramaturge et d'une technologie. Dans le cadre de la 1re Biennale d'art numérique de Montréal, c'est ce que présente le Musée des beaux-arts (MBAM) jusqu'au 5 août avec Fragmentation, une installation née de l'adaptation de trois scènes du spectacle Lipsynch mis en scène par Robert Lepage pour le ReACTOR, un système de diffusion à six écrans conçu par les Australiens Sarah Kenderdine et Jeffrey Shaw.

Quand on pénètre dans la salle du musée où est installé le ReACTOR, on entre dans la pénombre. Seule émerge la lumière provenant d'une image projetée sur un écran. Cela prend quelques minutes avant que nos yeux s'acclimatent et qu'on puisse déambuler sans avoir peur de heurter un obstacle.

Fragmentation est la réunion d'un contenant technologique et d'un contenu artistique. La technologie, c'est le ReACTOR, qui dérive davantage de certaines inventions des frères Lumière ou du Cyclorama que du cinéma. On doit le ReACTOR aux chercheurs multimédias australiens Sarah Kenderdine et Jeffrey Shaw, qui ont poursuivi dans les années 90 et 2000 les expériences menées quelques années auparavant avec les nouvelles plateformes numériques, la réalité virtuelle et l'imagerie stéréoscopique en 3D. Ces recherches réalisées à Melbourne ont conduit à la création du Virtual Room, qui permet de recréer une réalité virtuelle en 3D, visible par des spectateurs qui circulent autour d'écrans diffuseurs.

Le ReACTOR, formé de six écrans placés en hexagone sur 360º, est une nouvelle version transportable du Virtual Room, qui permet de concevoir des applications culturelles et artistiques in situ.

C'est Richard Castelli, directeur de la société d'art actuel française Epidemic, qui produit Robert Lepage en Europe et au Japon depuis 20 ans, qui a adapté des scènes de Lipsynch pour créer Fragmentation avec l'artiste multimédia allemand Volker Kuchelmeister.

«Quand j'ai vu la première mouture du ReACTOR à Melbourne, je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire avec la captation, dit Richard Castelli. Les trois séquences de Lipsynch avaient été tournées par Robert sans qu'il connaisse le ReACTOR. Comme cela lui a plu, on a décidé de tourner Fragmentation, qu'il a réalisé.»

Les images de Fragmentation ont été tournées il y a deux ans au théâtre Denise-Pelletier, plusieurs après-midi précédant la représentation de Lipsynch. Il en est ressorti 11 minutes d'images qui sont diffusées en boucle au musée. On voit ainsi le neurochirurgien de Lipsynch pris avec son problème d'alcoolisme, une chanteuse de jazz (jouée par Frédérike Bédard) et un couple sur le point de se séparer.

L'intérêt artistique de Fragmentation est pluriel. D'abord, l'image que l'on voit sur le ReACTOR n'est jamais la réalité. On la voit en 3D avec des lunettes polarisées, grâce à l'utilisation simultanée de deux caméras pour un même plan. Mais en plus, elle correspond dans un cas à une recomposition d'images, à une anamorphose. La table que l'on voit n'existe pas. Elle naît du réglage d'une caméra rotative qui prend, selon une perspective unique, divers objets qui vont reconstituer la table.

Les scènes ont été tournées simultanément par 10 caméras disposées selon cinq angles d'un hexagone tout autour de la pièce où elles étaient jouées. Les images sont diffusées sur cinq écrans du ReACTOR, le sixième écran diffusant l'image provenant de la caméra rotative. Quand on tourne autour du ReACTOR avec nos lunettes 3D, on découvre d'une certaine façon six points de vue d'une même réalité.

«Pour avoir ce même effet, il faudrait que le public se déplace en permanence en tournant autour de la scène, sur le plateau, sans déranger les acteurs!» dit Richard Castelli.

Fragmentation, jusqu'au 5 août au MBAM